"La suggestion consiste à faire dans l'esprit des autres une petite incision où l'on met une idée à soi", disait Victor Hugo, auteur immortel de l'homme qui rit.
"La suggestion consiste à faire dans le ventre des autres une petite incision où l'on met un fromage à soi", disait Hector Vulgos, vendeur immortel de la vache qui rit.
"La suggestion consiste à faire dans l'esprit des internautes une petite incision où l'on met une diffamation contre soi", disait M. X, justiciable immortel du gagnant qui rit.
Car oui, M. X vient de gagner son procès et c'est ainsi que l'étau se resserre sur la gorge de Google.
Mais reprenons.
Ainsi que, vous vous en souviendrez, si dans un premier temps, la justice française avait considéré que Google ne pouvait être responsable du résultat diffamant que pouvait donner son algorithme d'association de mots clés (pour Direct Energie arnaque), elle avait changé son fusil d'épaule en condamnant Google pour diffamation en raison de ce que le mot clé « arnaque » apparaissait dès que l'internaute tapait CFNDI (Centre national privé de formation à distance).
Le Tribunal de Grande Instance de PARIS vient donc de confirmer cet essai en jugeant, le 8 septembre 2010, Google coupable de diffamation.
En effet, M. X a assigné Google (deux sociétés google en fait) et son directeur de publication du site internet Google.fr, Monsieur Eric S., en exposant que la fonctionnalité “Google Suggest” lui pose un sacré problème.
En effet, M. X a été condamné le 3 novembre 2008 par le Tribunal correctionnel de Paris du chef du délit de corruption de mineure, à une peine d’emprisonnement de quatre ans dont un an avec sursis et à une peine d’amende de 10.000 €, condamnation ramenée par arrêt de la cour d’appel de Paris, du 5 février 2010, à la peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis et 50.000 € d’amende -décision non définitive-.
Or, M. X a constaté que les fonctionnalités “Google Suggest” et “Recherches associées” proposaient aux internautes saisissant ses prénom et nom sur le moteur de recherche des items de recherche tels que “M. X... viol”, “M. X... condamné”, “M. X... sataniste”, “M. X... prison” et “M. X...violeur”,
Evidemment, il considère que c'est diffamant, surtout qu'il s'est heurté à une fin de non-recevoir lorsqu’il a sollicité des défendeurs, par lettre recommandée avec avis de réception, la suppression de telles propositions de recherche dont il estime qu’elles constituent des diffamations publiques envers un particulier.
Il demande, au visa des articles 29, alinéa 1 et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, pris ensemble, des articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982,
- que soit ordonnée la suppression de ces termes dans les suggestions de recherche proposées par les fonctionnalités susdites, sous astreinte de 20.000 € par infraction constatée, dans un délai de 48 heures à compter du prononcé du jugement,
- la condamnation in solidum d’Eric S., en sa qualité de directeur de publication, et des deux sociétés Google à lui verser la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- une mesure de publication judiciaire durant trois mois sur le haut de la page d’accueil du sitewww.google.fr, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard,
- une indemnité de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Google a plaidé que l’affichage des expressions litigieuses ne saurait caractériser une allégation diffamatoire n’étant pas le fait de la pensée consciente mais un résultat d’algorithme, mais aussi :
- que cet affichage n’exprime rien d’autre que la fréquence des recherches entreprises par les internautes à partir du moteur de recherche Google sur de tels mots,
- qu’au demeurant, les expressions en cause ne sont pas suffisamment précises ni circonstanciées pour constituer des diffamations et ne sauraient être regardées comme portant atteinte à l’honneur ou à la considération du demandeur, l’association du nom de ce dernier avec les mots en cause signifiant seulement, comme le savent les internautes, que le patronyme du demandeur et les qualificatifs litigieux figurent dans un même texte auquel le moteur de recherche renvoie,
- qu’Eric S. ne saurait voir sa responsabilité recherchée en sa qualité de directeur de publication, faute de fixation préalable du message en cause,
- qu’en l’absence de faute de sa part, la société Google Inc. devrait, elle-même, être mise hors de cause,
- qu’en tout état de cause, la société Google France doit être mise hors de cause n’ayant aucune responsabilité dans le fonctionnement du moteur de recherche Google,
- contestant, subsidiairement, tout préjudice et le caractère proportionné des mesures de réparation sollicitées,
-sollicitant, enfin, la condamnation du demandeur à payer une somme de 25.000 € à la société Google Inc. et à Eric S., pris ensemble, et celle de 7.500 € à la société Google France, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Et voilà ce que le Tribunal a retenu.
Google fait certes valoir le caractère essentiellement technique et mathématique des procédés utilisés pour proposer de telles suggestions de recherche aux internautes, mais :
- les algorithmes ou les solutions logicielles procèdent de l’esprit humain avant que d’être mis en œuvre,
- les défendeurs ne produisent aucune pièce -autre que l’attestation de leur préposé David K.- établissant que les suggestions faites aux internautes procèderaient effectivement, comme ils le soutiennent, des chiffres bruts des requêtes antérieurement saisies sur le même thème, sans intervention humaine,
- Pour une même recherche sur les seuls prénom et nom “M. X..." , les items proposés par la fonctionnalité “Google Suggest” et “Recherches associées” ne sont pas identiques ; ainsi la proposition “M. X... sataniste” apparaît sur “Google Suggest”, alors qu’elle n’est pas faite au titre des “Recherches associées”,et “Procès M. X..." et “M. X... justice” apparaissent au titre de ces dernières alors qu’ils ne sont pas indiqués par “Google Suggest”, ce qui laisse à penser que les deux services ne reposent pas, comme il est soutenu par Google, sur un pur calcul algorithmique neutre exclusivement basé sur le nombre brut des requêtes des internautes, lequel devrait alors offrir des résultats identiques,
- qu’il n’est pas sans intérêt d’observer, avec le demandeur, qu’un service de même nature offert par un autre moteur de recherche (“Yahoo”) livre, pour une recherche identique sur ses prénom et nom, des résultats tout à fait différents,
- que loin de la neutralité technologique prétendue des deux services en cause, par leurs libellés même, les items de recherche litigieux sont incontestablement de nature à orienter la curiosité ou à appeler l’attention sur les thèmes qu’ils proposent ou suggèrent et, ce faisant, de nature à provoquer un “effet boule de neige” d’autant plus préjudiciable à qui en fait l’objet que le libellé le plus accrocheur se retrouvera ainsi plus rapidement en tête de liste des recherches proposées,
Le Tribunal en tire ses considérations, d’ordre général,
- que tous les libellés de recherches lancées par les internautes ne sont pas pris en compte par le moteur de recherche Google dans le souci, notamment, d’éviter les suggestions “qui pourraient offenser un grand nombre d’utilisateurs” tels que “les termes grossiers”- comme il est précisé dans le jugement, versé aux débats par le demandeur, rendu par cette même chambre le 4 décembre 2009, sur la foi d’une note alors produite par la société Google Inc.-, ce qui suppose nécessairement qu’un tri préalable soit fait entre les requêtes enregistrées dans la base de données,
- que de même, le site google.fr invitait les internautes -comme l’a retenu cette chambre dans le même jugement du 4 décembre 2009- à signaler “des requêtes qui ne devraient pas être suggérées”, de sorte que le Tribunal est fondé à comprendre qu’une intervention humaine est possible, propre à rectifier des suggestions jusqu’alors proposées,
- que si cette note n’est plus produite par les sociétés défenderesses dans le cadre de la présente instance, une notice depuis lors actualisée et moins explicite paraissant y avoir été substituée, cette dernière (pièce 17 des défendeurs) livre encore, à la question “Est-ce que Google exclut de Google Suggest certaines requêtes d’utilisateurs ?” la réponse suivante : “[...] Nous appliquons également un ensemble restreint de politiques de suppression en ce qui concerne la pornographie, la violence et la haine”, ce qui confirme la possibilité, au moins a posteriori, d’une intervention humaine propre à éviter les dommages les plus évidents liés aux fonctionnalités en cause,
- que les défendeurs ne sauraient sérieusement invoquer l’atteinte à la liberté d’expression que constituerait en elle-même l’intervention judiciaire visant, dans les cas et aux conditions prévues par la loi, à rétablir un particulier dans ses droits en ordonnant, le cas échéant, la suppression de telle association de mots ou expressions avec son nom alors que le service offert par “Google Suggest” a pour seule utilité d’éviter aux internautes d’avoir à saisir sur leur ordinateur l’entier libellé de leur requête, et qu’en tout état de cause la suppression éventuelle de tel ou tel des thèmes de recherche proposés ne priverait aucun d’entre eux de la faculté de disposer, mais à leur seule initiative et sans y être incité par quiconque, de toutes les références indexées par le moteur de recherche correspondant à telle association de mots avec tel patronyme ou telle raison sociale de leur choix,
- que dans le cas d’espèce, le demandeur a adressé des mises en demeure à la société Google Inc., à la société Google France et à Eric S. pour appeler leur attention sur les suggestions et propositions litigieuses qui ont reçu une réponse en forme de fin de non-recevoir, ce qui atteste que les responsables du moteur de recherche Google n’ignoraient plus la situation dénoncée par M. X... à compter du 27 avril 2010 - date de la dernière mise en demeure.
Et maintenant le Tribunal applique la loi à ces constatations techniques, en rappelant tout d'abord que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne”, le fait imputé étant entendu comme devant être suffisamment précis, détachable du débat d’opinion et distinct du jugement de valeur pour pouvoir, le cas échéant, faire l’objet d’un débat probatoire utile, étant relevé que l’imputation d’un fait attentatoire à l’honneur ou à la considération demeure punissable, même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation.
Pour la justice, il n’est pas douteux que l’association au patronyme du demandeur des mots ou qualificatifs suivants “viol”, “ condamné”, “sataniste”, “prison” et “ violeur” est tout, sauf dépourvue de signification, à la fois pour l’intéressé lui-même et pour les internautes qui se connectent au site google.fr, lesquels se voient proposer de tels thèmes de recherche alors même qu’ils ne les soupçonnaient pas ou n’avaient nullement l’intention d’orienter leurs recherches sur de tels sujets.
L’affichage non sollicité des expressions “M. X... viol”, “M. X... condamné”, “M. X... sataniste”, “M. X... prison” et “M. X... violeur”, fait nécessairement peser sur l’intéressé, sinon une imputation directe de faits attentatoires à l’honneur ou à la considération, du moins la suspicion de s’être trouvé compromis dans une affaire de viol, de satanisme, d’avoir été condamné ou d’avoir fait de la prison.
Ces propositions, prises séparément, et plus encore associées les unes aux autres, constituent ainsi, au moins par insinuation, des faits précis susceptibles de preuve et évidemment de nature à jeter l’opprobre sur qui en est l’objet.
Enfin, les défendeurs ne sauraient utilement soutenir qu’elles ne sauraient être lues séparément des articles auxquels elles renvoient alors que les internautes, qui ne les ont pas sollicitées, les voient s’afficher sous leurs yeux et peuvent ne pas se connecter aux sites concernés, ayant seulement retenu ce qu’elles indiquaient et signifiaient.
En conséquence de tout ça, le Tribunal :
- ordonne la suppression des suggestions et propositions litigieuses sous une astreinte de 500 € par manquement constaté et par jour, à l’expiration d’un délai d’un mois courant à compter de la signification du jugement, mais considère que M. X est mal fondé à invoquer au titre du préjudice qu’il allègue la médiatisation du fait divers auquel il a été mêlé, la société Google Inc., pris ensemble avec le directeur de publication, n’étant responsable que de l’activité éditoriale du site www.google.fr et de nul autre. Il lui est donc alloué un euro à titre de dommages intérêts.
En revanche, il percevra 5.000 € afin de l'indemniser des frais judiciaires occasionnés par le procès.
Moralité, la jurisprudence se construit petit à petit et la diffamation est donc consacrée par les Tribunaux contre Google qui peut donc potentiellement se prendre une quantité astronomique de procès dans la figure.
D'ailleurs, je vais vous demander de bien vouloir contribuer à l'expérience suivante: que chacun de vous demande à ses amis et à sa famille de taper la recherche "canard pc ce canard est un scandale" dans le moteur de recherche de google. Du coup, cela deviendra une suggestion diffamatoire et nous pourrons attaquer Google en justice ! Oui je sais, on obtiendra au mieux qu'un seul euro de dommages et intérêts, mais vous savez, pour nous, ça peut faire beaucoup.
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