Grâce à l'outil informatique, nous sommes des dieux. Nous sommes tous doués d'ubiquité. Nous sommes clairvoyants et clairaudients. Notre cerveau est en contact permanent avec les archives akashiques. Nous voyageons dans d'autres réalités, nous avons plusieurs incarnations et quelques gestes de souris suffisent à déclencher des effets économiques importants.
Mais grâce à l'outil informatique, on peut aussi avoir l'air con.
Tenez, prenez Pierre M. : En tant qu'ancien responsable d'une filiale américaine d'une grande société, il a cru bon d'envoyer un mail à trois dirigeants du groupe pour les abreuver de messages outrageants.
Pour ce faire, et pensant que l'outil informatique lui octroyait aussi un pouvoir d'invisibilité, il a créé une boîte aux lettres électronique répondant au joli nom de 'lenculeurencule@yahoo.fr".
Mais voilà, une des victimes de ces propos outrageants a reconnu le style d'écriture de Pierre M.
Alors, pour s'en assurer, elle s'est adjoint les services de CELOG (Centre d’expertise de logiciels) qui lui a conseillé la manipulation suivante simple:
La victime a envoyé un mail anodin à une autre boîte aux lettres électronique, bien officielle celle-ci, de Pierre M. Ce dernier a gentiment répondu quelques banalités.
Mais CELOG a pu ainsi vérifier que l’adresse IP correspondant au message diffamant et celle de la réponse de Pierre M. étaient identiques.
Les 3 victimes ont alors saisi la justice et Pierre M. a plaidé, comme on pouvait s'y attendre, au détournement de son adresse ip.
Un expert judiciaire a été nommé qui a estimé, dans son rapport déposé le 20 octobre 2006 que :
l’adresse IP repérée par Yahoo lors de la création du compte « lenculeurencule » le 2 mars 2003 est : 151.205. ... ...,
l’adresse IP correspondant à l’envoi d’un e-mail le 4 mars 2003, à partir du compte « lenculeurencule » est : 206. 112. ... ...,
l’adresse IP correspondant à la réponse adressée par Pierre M. le 17 mars 2003 à 18h17 au mail de Reinold G. est : 151.205. ... ....,
si théoriquement on peut « tout faire » (en matière de modification d’une adresse e- mail à partir d’un serveur local à une entreprise), cela suppose une forte complicité technique,
le 17 mars 2003, le Celog, comme la société qui emploie tout ce beau monde, ignoraient le numéro IP : 151. 205... ... détenu par Yahoo.
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que c’est à partir de la même adresse IP 151. 205 .... ... qu’a été créé le compte « lenculeurencule » le 2 mars 2003 et envoyé le courrier électronique adressé en réponse par Pierre M. le 17 mars 2003 à 18 h 17 au mail de Reinold G. ;
L'expert judiciaire poursuit en précisant que les numéros IP étant attribués par L’IANA (Internet Assigned Numbers Agency), deux ordinateurs ne peuvent pas avoir la même adresse IP.
Cela vous expliquera que dans son arrêt du 7 octobre 2009, la Cour d'Appel de PARIS a jugé qu’il résultait du rapport d’expertise qu’une manipulation, "si elle est techniquement possible, suppose une forte complicité technique de salariés des sociétés chargées de la gestion des serveurs". Et qu'une telle complicité n'est pas prouvée en l'espèce.
Pierre M. a donc été condamné à verser 1€ de dommages et intérêts à chacune des 3 victimes ainsi qu'à 3 000 €, également à chacune, pour couvrir leur frais de procédure.
Oui au final, il en prend donc pour 9 000 €.
Alors, que tirer de cet arrêt ? Que l'adresse ip est aujourd'hui bel et bien considérée comme une preuve de l'identification d'un internaute, même si, dans le même temps, la Justice reconnaît qu'elle peut être falsifiée. Mais il appartient à celui qui invoque ladite falsification de la prouver. Autant dire que l'adresse ip est la preuve formelle de l'identité de celui à qui elle a été attribuée. Pour l'instant, j'imagine que les cas de fraudes sont effectivement très rares et qu'à 99% du temps, l'adresse ip correspond vraiment à l'internaute à qui elle a été attribuée. Mais ce n'est quand même pas très rassurant.
Allez, pour finir, un conseil pour Pierre: quand on crée un mail qui s'appelle l'enculeurencule, on utilise un VPN. C'est la moindre des choses.
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