En général, il faut attendre 10 ans, voire plus, avant que notre pays de fonctionnaires réfractaires à la modernité se décide à se mettre à l'heure américaine et consente à adopter la dernière mode venue d'Outre-Atlantique. Celle des school shootings, inaugurée dans le monde entier par la tuerie de Columbine il y a justement 10 ans, n'échappe pas à la règle. Alors que les Allemands et les Finlandais, beaucoup plus compétitifs, peuvent déjà s'enorgueillir de deux ou trois sauteries de ce genre sur leur sol, ce n'est que maintenant que l'on se décide à rattraper notre retard... et encore, au moment fatidique, il faut que l'auteur rate son coup.
Certains beaux esprits ne manqueront pas de faire objection, et de nous ressortir les justifications habituelles. Aveuglés par leur anti-américanisme primaire, ils seraient capables de nous faire croire que les school shootings n'ont rien de nouveau, qu'ils ne peuvent pas avoir été inventés par des rednecks obèses, lesquels ne seraient une fois de plus que de vulgaires plagieurs (on nous a déjà fait le coup pour le téléphone, le rock, le roller, l'ordinateur, l'Internet et j'en passe). Et de nous ressortir le massacre de l'Ecole Polytechnique à Montréal, dont on va bientôt commémorer le 20ème anniversaire. Ou la fusillade de Dunblane, en Ecosse, qui a eu lieu en 1996. Ou même, cocorico, la tuerie de Cuers, qui date de 1995.
Il ne faut cependant pas se laisser abuser. Tout d'abord, si l'on regarde attentivement la chronologie, on s'aperçoit que le premier véritable school shooting, daté de 1966, a bien eu lieu au pays de la libre entreprise. Il a en effet été perpétré à l'Université du Texas par le jeune Charles Whitman. Ensuite, si on ne considère que les school shootings "modernes", c'est-à-dire ceux où des écoliers ou étudiants tuent des membres de leur établissements ET où l'on blame les médias pour leur acte, alors on se rend compte que le "phénomène" a démarré en février 1996 avec la fusillade de Moses Lake, perpétrée par un fan de Stephen King, de Tueurs-Nés et de Basketball Diaries (pour que les jeux vidéo soient mis en cause, il faudra attendre la tuerie de Paducah en 1997).
On l'aura compris, tout ça n'est qu'un écran de fumée qui sert à masquer notre ringardise. La preuve : pour en revenir à ce qu'il est convenu d'appeler la "fusillade ratée de Beauvais", nos journalistes n'osent même pas blâmer ouvertement les jeux vidéo ! Oh, certes, la plupart des articles mentionnent que le tireur raté était un "adepte" de ce loisir. Certes, ils tentent mollement, maladroitement, de mettre cette mention à côté de la description du profil du jeune collégien, "bon élève issu d'une famille sans histoires", afin que l'association des deux fasse "tilt !" dans la tête du lecteur. Mais ça ne va pas plus loin. Généralement, les médias n'en sont restés qu'aux sous-entendus hypocrites de la taille d'une phrase ou deux. Paris-Match, qui s'était enhardi à faire jusqu'à deux paragraphes et un sous-titre, a dû modifier celui-ci sous la pression des lecteurs. Quant au Courrier Picard, s'il essaie bien de faire tout un article, il s'empresse de préciser qu'il est "encore impossible [notez bien le "encore"...] d'établir formellement un lien entre la passion de Bastien pour les jeux vidéo et l'irréparable qu'il a failli commettre mardi".
On le voit, ce n'est pas l'envie qui manque de les incriminer, mais les journalistes français n'osent pas encore sauter le pas, sans doute prisonniers de leur mentalité d'assistés. Les anglais, eux au moins, y vont franco : "un fan de jeux vidéo a planifié une tuerie scolaire", et en titre, s'il vous plaît ! En Allemagne, il y a longtemps que le lien aurait été fait avec les "killerspiele", peu importe d'ailleurs ce qu'on aurait mis dedans (World of Warcraft a déjà été considéré comme tel, de même que Warcraft III... et Fifa 2009 !). Et au pays de Chuck Norris, la prudence, on sait où on peut se la mettre : certains éditorialistes n'ont même pas besoin d'éléments ou de preuve pour savoir que c'est la faute des jeux vidéo, peu importe que les victimes soient des petites filles ou des animaux.
Ah, quelle décadence ! Surtout quand on sait qu'au début des années 90, suite à la prise d'otages de la Maternelle de Neuilly (dont le Maire de l'époque est accessoirement devenu Président de la République), les journaux n'hésitaient pas à affirmer que ce drame avait été inspiré par Super Mario 2.
Pays de fonctionnaires, je vous dis...
Voir la news (1 image, 0 vidéo )