Parce qu'on ne peut (ou qu'on ne veut) pas toujours passer pour un abruti régressif quand on dit qu'on aime la bande dessinée, je vais vous aider à relever l'opinion de ces rustres qui se croient meilleurs que vous parce qu'ils sont allés voir le dernier film indépendant moldave.
Déjà évitez de confier que vous aimez les comics de super-héros moulés dans des collants Spandex. Puis préférez parler de roman graphique plutôt que de bande dessinée, ce sera so chic. Et assénez que vous lisez actuellement un œuvre coéditée par le Musée du Louvre et là, vous verrez la mine déconfite de votre interlocuteur, submergé par tant de culture.
Le Ciel au dessus du Louvre est donc la dernière BD de Bernar Yslaire, connu pour sa flamboyante série historique Sambre, histoire d'une famille bourgeoise déliquescente à la fin du XIX° siècle. Changement d'époque puisque Le Ciel... se déroule pendant la Révolution française, plus précisément après l'instauration de la Terreur. Et le lieu de l'action, vous l'aurez deviné si vous n'êtes pas un lecteur de manga pardon un abruti, c'est Le Louvre. On va suivre le parcours artistique et politique du peintre Jacques-Louis David et ses relations avec Robespierre, qui le charge de donner un visage à l'Etre Suprême. On assiste aussi à la représentation du Louvre alors qu'il vient d'être inauguré comme musée révolutionnaire et comme résidence d'artistes.
La BD est organisée en 20 chapitres de quelques pages chacun suivant toujours la même structure : un « tableau » pleine page puis une « accélération » du dessin, se limitant parfois à un croquis, une esquisse pour enfin se terminer par quelques textes de Jean Claude Carrière, scénariste de cet album. L'accélération est voulue pour rendre l'impression d'urgence de cette époque troublée et bizarrement, ça passe plutôt bien. Le dessin est quant à lui très détaillé, très expressif avec un travail remarquable sur les ombres et les cadrages. Il intègre aussi des reproductions des œuvres présentées au Louvre.
Seul petit bémol, l'apparition de Jules Stern, personnage que le dessinateur a décidé d'intégrer dans toutes ses BD depuis le diptyque Le Ciel au dessus de Bruxelles. Ça fait très « oeuvre globale que visait Yslaire à Bruxelles » (c'est trop facile comme pastiche, le nom finit déjà en « er » et la ville commence par B mais je ne pouvais pas la laisser passer). Et c'est dommage car le personnage n'est ni sympathique ni opportun, malgré la place centrale que lui a attribué Yslaire. Ça n'empêche toutefois pas Le Ciel au dessus du Louvre d'être une BD intelligente, à la structure très bien pensée et au graphisme époustouflant, une très bonne surprise en cette fin d'année.
Le Ciel au dessus du Louvre, Yslaire et Carrière, Futuropolis-Musée du Louvre, 26*28 cm, 72 pages, 17€.
PS : j'en profite pour vous signaler que Le Ciel n'est pas la première collaboration entre Futuro et Le Louvre. Vous pourrez donc vous ruer sur Période Glaciaire de Nicolas de Crécy, relatant la redécouverte du Louvre par une équipe d'explorateurs du futur dont un chien parlant. Aussi sur Aux Heures Impaires de mon chouchou Eric Liberge : j'avoue être complètement fanboy de tout ce qu'il fait mais suivre un sourd-muet gardien de nuit capable de donner vie aux œuvres du musée, ça vaut le coup d'œil. Je n'ai pas lu Les Sous-Sols du Révolu de Marc-Antoine Mathieu mais vu l'excellence de Julius Corentin Acquefacques et de son Dieu en personne, je doute de la médiocrité de son ouvrage.
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