Tout corse mélomane et gastronome vous le dira, le chant des Maures, c'est enchanteur, et le pain des morts, c'est délicieux. Alors que Courtney Love vous dira que le pain des Maures, elle s'en fiche, et que le chant des morts, elle ne supporte pas ça.
Ce qui vous expliquera que, lorsque Guitar Hero 5 est récemment sorti avec un perso débloquable en la personne de Kurt Cobain, le chanteur décédé de Nirvana et accessoirement feu le mari de Madame Love, cette dernière a hurlé au scandale, comme quoi, l'image de son mari était sacrée, qu'il fallait pas la dévoyer dans un jeu et qu'il était honteux de pouvoir utiliser l'avatar de Cobain pour chanter du Bon Jovi ou du Public Ennemy.
Elle se déclare prête à faire un procès à Activision, l'éditeur de GH5, tandis que cette dernière société prétend que Love lui a concédé les droits nécessaires à l'apparition de Cobain.
On verra bien ce que ça donne, mais posons-nous la question : est-ce que l'on pourrait, dans un jeu français, utiliser l'image d'un mort sans le consentement des héritiers ?
L'image d'une personne est traditionnellement conçue comme relevant de sa vie privée, de sorte que sa publication, sans autorisation, constitue une violation de l'article 9 du Code civil qui dispose que "chacun a droit au respect de sa vie privée". C'est un des droits que l'on rattache à la personnalité d'un individu. Du vivant de quelqu'un, il est donc illégal d'utiliser son image sans son accord.
Mais voilà, quand une personne décède, elle n'a plus de droit lié à sa personnalité. Elle n'a plus de vie privée, et elle n'a plus de droit à l'image, et la jurisprudence a longtemps unanimement considéré que les héritiers d'une personne ne pouvaient se plaindre d'une violation d'un droit à l'image du défunt.
Pourtant, quelques grandes affaires ont secoué ces principes: celle du Grand Secret, livre de l'ancien médecin de François Mitterrand révélant que le Président savait que son neveu finirait dans un gouvernement de droite et que ça l'avait tué, le pauvre homme, plouf plouf, livre de l'ancien médecin de François Mitterrand révélant que le Président se savait atteint d'un cancer et que ça l'avait tué, le pauvre homme, ou encore l'affaire du Préfet Erignac mettant en scène, par une photographie, son cadavre gisant à terre, ce qui avait indigné ses héritiers.
Dans ces affaires, les juges recevaient les doléances des héritiers, considérant qu'il existait une sorte de vie privée d'un défunt, voire un droit à l'image de ce dernier. Mais la Cour de cassation tint bon la barre, et rappela avec fermeté que “Le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit”.
Si les proches d'un défunt ne peuvent invoquer l'article 9 du Code civil, cela ne signifie pas qu'ils ne peuvent se plaindre d'un préjudice causé par une atteinte à la mémoire ou à la réputation du défunt.
En effet, d'une part, dans la mesure où les atteintes à l'honneur et à la considération des morts par voie de presse sont susceptibles de constituer une injure ou une diffamation réprimée par la loi du 29 juillet 1881, les héritiers et ayants droit ont la faculté d'agir, mais encore faut-il prouver que l'auteur du propos diffamatoire cherchait intentionnellement à nuire aux héritiers du défunt. C'est assez rare de pouvoir prouver cela, comme vous l'imaginez.
D'autre part, et dès lors que le préjudice invoqué par les proches trouve sa cause dans une faute, ceux-ci peuvent, en principe, se fonder sur le droit commun de la responsabilité civile, c'est à dire l'article 1382 du Code civil qui dispose que "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.".
Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a pu juger qu'une publication imputant la commission d'acte de tortures à un militaire défunt qui “ne pouvait qu'atteindre inutilement et injustement les proches du Colonel E dans leur sensibilité et dans la personne du défunt, est constitutive d'une faute civile ayant occasionné aux demandeurs un préjudice moral personnel important dont le journal et l'auteur de l'article doivent réparation”.
Notons cependant, que lorsque la violation de la vie privée est commise par voie de presse, l'article 1382 tend à s'effacer au profit exclusif de la loi de 1881 ce qui complique les procès. Mais là n'est pas le sujet, puisque nous évoquons ici l'utilisation d'une image dans un jeu vidéo.
Enfin, l'article 16 du Code civil qui dispose que "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie", a été utilisée dans l'affaire du Préfet Erignac par la Cour de cassation pour confirmer “qu'ayant retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue d'Ajaccio, la cour d'appel a pu juger, dès lors que cette image était attentatoire à la dignité de la personne humaine, qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi légalement justifiée.".
Par conséquent, pour revenir à notre Cobain français, il faudrait donc que l'on imagine que l'image du chanteur décédé, en train de fredonner un bon vieux tube d'Eminem, soit une atteinte à sa considération ou à son honneur mais qui vise spécialement à nuire aux héritiers, ou que cette image implique une souffrance morale des héritiers telle que cela constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'éditeur.
Pas évident et vous voyez qu'il faut prouver que la violation de l'image ou de la vie privée du défunt nuit aux héritiers, car le mort n'a, en soi, plus aucune vie privée. Ou alors, il faut prétendre que l'utilisation de l'image est attentatoire à la dignité de la personne humaine, mais même si Cobain pouvait dans le jeu chanter la danse des canards, ce ne serait pas non plus une mise en scène qui viole la dignité de toute l'humanité.
Mais il y a un autre aspect à ce genre d'affaires. C'est que, voyez-vous, GH5, ça se vend et pas qu'un peu. Or, l'exploitation de l'image de Kurt Cobain est un moyen de faire augmenter les ventes du jeu, il y a donc un très important aspect commercial à cette utilisation de l'image.
Sur ce point, la jurisprudence s'est déchirée: faut-il considérer que l'aspect patrimonial de l'image d'un défunt est transmissible à ses héritiers ?
Lorsqu'il s'agit des droits patrimoniaux liés à l'exploitation de ses oeuvres de l'esprit, comme des chansons, la réponse est facile, l'article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle nous répond que: "au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent.".
Mais l'image d'une personne n'est pas une oeuvre de l'esprit, ce qui laisse intacte la question de savoir si l'aspect patrimonial de l'image est transmissible aux héritiers. La jurisprudence a hésité, mais tend à considérer que oui, les héritiers peuvent se plaindre de l'utilisation commerciale de l'image du défunt, même en l'absence de toute atteinte à sa dignité.
Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a pu juger que: "Le droit à l'image comme le droit au nom, sont essentiellement attachés à la personne de leur titulaire mais présentent également un caractère patrimonial qui permet d'en monnayer l'exploitation commerciale et se transmet aux héritiers.
Il y a lieu d'interdire toute publicité et toute mise en vente par une société privée de monnaie à l'effigie du Général de Gaulle, pour violation du droit à l'image et du droit au nom. En effet, l'évidente dimension historique, nationale et internationale du Général de Gaulle, et le fait que son nom et son image aient déjà fait l'objet de commercialisation, ne peuvent avoir pour effet de priver ses descendants d'une protection offerte par la loi."
Donc si notre Courtney Love française peinerait à faire juger que l'image de Cobain en train de chanter du rap lui cause une souffrance morale telle que la société éditrice a manqué de prudence en mettant en scène une telle horreur, et a donc commis une faute, elle pourrait bien être fondée à demander des soussous en raison de cette exploitation non autorisée et à but commercial de l'image du chanteur.
Méfiance donc, Messieurs les éditeurs de jeux vidéo français, ne vous risquez pas à utiliser, sans autorisation, l'image de Louis de Funès dans un FPS ou de Coluche dans un Beat them' up.
Dans un prochain article, nous étudierons les aspects juridiques du droit à l'image d'un maure mort-vivant chantant amor amor. Pardon ? Zoulou ne tolère pas que l'on blague sur les zombies ? Ah bon, ben alors oubliez, c'est mort.
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