Le mois d'août se déploie langoureusement dans la moiteur torride de l'été et tandis que vos jeunes années, tel un Icare insouciant, s'envolent vers le soleil pour s'y brûler, le mois de septembre se rapproche à grands pas. Pour beaucoup, l'angoissante question du cursus universitaire à choisir se précise, et permettez-moi de vous aider en vous recommandant de ne pas faire de droit.
Non c'est vrai, la matière est passionnante, on devient un transformateur de réalité sociale et on séduit les filles à volonté grâce à une faconde maîtrisée et à des stratégies éprouvées, comme la drague à la plage avec code civil.
Cependant, telle une vilaine moisissure qui ne partira plus jamais, la connaissance juridique souille votre âme et vous amène à toujours porter sur la vie un regard négatif et critique.
Tenez, prenez Google Street View, je suis le premier à aimer ce service, à me déplacer dans des villes avant de les visiter pour prendre des repères, ou simplement à me balader pour le plaisir dans des endroits où je n'irais jamais. Mais pourtant, mon esprit juridique me souffle de vilaines pensées et m'amènent à considérer que Google est à Big Brother ce que Arnold Scharwezenegger est à Dany de Vito, des jumeaux certes, mais l'un des deux est terriblement plus dangereux que l'autre.
C'est ainsi que tandis que Big Brother est censé représenter la menace d'une surveillance étatique permanente, Google, avec son service Street View, représente le délire mégalomaniaque d'une multinationale de photographier le monde entier, et vous avec.
L'exploit impressionne, car couplé à Google Earth, on a le sentiment d'utiliser un logiciel tiré d'un fim de James Bond, mais il impressionne aussi par le nombre de problèmes juridiques qu'il pose.
- Premier problème, le plus évident est celui de la vie privée. Les véhicules Google photographient aveuglément, si on peut dire, tout ce qui passe sous l'objectif, donc également les citoyens de notre pays qui ne peuvent plus se balader tranquillement au bras de leurs maîtresses en plein après-midi sans craindre de se retrouver pris en flagrant délit.
L'article 9 du Code civil dispose ainsi que "Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé."
Sachant que votre image est un attribut de votre vie privée, cela signifie que, sauf si vous avez donné l'autorisation, personne ne peut diffuser une photographie de vous.
Ce droit à votre vie privée vous permet donc de crier au scandale si une google car vous prend en photo, ce qui explique que cette société a prévu de "flouter" automatiquement les visages, grâce à un puissant algorithme qui parvient à différencier le visage du petit dernier dans la poussette du museau du yorkshire tenu dans les bras de moman, ce qui, reconnaissons-le, n'est pas toujours une mince affaire.
Mais voilà, le floutage n'empêche pas toujours de reconnaître une personne dans la rue, sans compter que les visages de profil ou derrière un grillage ne sont souvent pas dissimulés par le logiciel.
Je pense que si l'on pouvait compter le nombre de violations du droit à l'image et à la vie privée des citoyens de notre beau pays, nous serions confrontés à plusieurs milliers d'infractions, ce qui, convenons-en, ferait passer Fantomas pour un amateur.
À cela se rajoutent les milliers de plaques minéralogiques de véhicules dont le floutage est raté par l'algorithme de Google, ce qui constitue autant de violation de la vie privée du propriétaire. (Dis donc Gérard, que faisait ta voiture garée à Pigalle en pleine journée ? T'étais pas censé être au bureau ?).
Sur ce simple point, on peut donc considérer que Google viole en permanence des milliers de fois notre article 9, ce qui fait de cette société un remarquable délinquant. Mais ce n'est pas tout.
- Second problème, les oeuvres de l'esprit photographiées par Google. De nombreux immeubles, peintures murales et autres statues sont des oeuvres de l'esprit élaborées par des architectes ou des artistes et bénéficient, en tant que telles, de la protection de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que "L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous."
L'artiste ou l'architecte a donc parfaitement le droit de s'opposer à la diffusion de son oeuvre, sauf à ce qu'il ait, bien évidemment, donné au préalable son accord, pour ce faire, en général moyennant finance. Ici, point de floutage de façade ni de statues, donc, aux milliers de violations de l'article 9 du Code civil, on peut ajouter des milliers de violations de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
- Tant qu'on est sur les immeubles, précisons que si l'article 544 du Code civil dispose que "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements", il est régulièrement jugé que le propriétaire d'un bien immeuble ne peut s'opposer à la diffusion de l'image de ce dernier que si cette diffusion lui cause un trouble anormal de jouissance. La reconnaissance de ce trouble anormal n'est pas aisée, mais n'oublions pas que nous parlons ici de la photographie de l'ensemble de tous les immeubles de toutes les grandes villes de France. Même en étant restrictif, je pense qu'on doit bien pouvoir recenser plusieurs centaines de cas de violation de l'article 544 du Code civil.
- Troisième problème: Google a fait une déclaration à la CNIL pour son service Street View, ce qui est bien la moindre des politesses quand on considère que c'est la mère des bases de données que Google a constituée. Mais dans un avis du 3 juillet 2008, la CNIL a demandé “ que les utilisateurs soient clairement informés de leurs droits, conformément aux règles européennes de la protection des données ”. Vous avez été informé, vous, par Google, de vos droits concernant les règles européennes de protection des données ? Non, et pour cause, cette société refuse de suivre les règles européennes. C'est ainsi que, alors que les 27 CNIL européennes ont demandé à ce que le consentement des intéressés soit obtenu avant de procéder à un profilement à leur sujet, bien évidemment, Google a gentiment haussé les épaules, considérant que la législation européenne ne lui est pas applicable.
Il est vrai qu'une ordonnance du juge des référés du 14 avril 2008 a suivi Google dans son raisonnement en considérant que, lorsque les données sont stockées sur des serveurs américains, c'est la législation de ce pays qui s'applique et non pas l'européenne. Cette ordonnance a été très décriée par la doctrine majoritaire, et tout le monde s'accorde à penser que Google est soumis au droit européen lorsqu'elle rend un service accessible par des européens. Et dans ce cas, ce ne sont pas des milliers, mais des centaines de millions de citoyens dont les droits sont bafoués, puisque Google ne respecte pas la volonté des CNIL.
Que conclure de ce palpitant tour d'horizon des infractions commises par Google rien qu'avec Street view ? Je dirais qu'on retrouve à nouveau une belle illustration des frictions juridiques que crée l'évolution technologique. Car, si une entreprise est coupable de dizaines de milliers d'infractions impunies, voire de centaines de millions, peut être que le droit n'est alors plus vraiment en phase avec la société qu'il organise.
À méditer sur la plage (avec ou sans code civil) !
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