Bonsoir,
Comme l'avait dit fandebouvard sur un autre topic, j'ai réalisé une synthèse d'une étude portant sur l'attirance des ado pour les jeux vidéo violents. Comme on a pas souvent la chance d'étudier un tel sujet, je me permets de vous poster cette synthèse. Même si elle n'a rien de révolutionnaire et qu'elle reste très "scolaire" ça pourra peut-être intéresser quelqu'un
Synthèse de l’article de Lemmens et Bushman (2006)
The appeal of violent video games to lower educated aggressive adolescent boys from two Countries
Présentation de l'étude
L’article de Lemmens & Bushman (2006) a pour objectif de déterminer quels « types » de personnes sont attirés par les jeux vidéo violents. Des études précédentes ont révélées qu’en général, les jeux vidéo sont surtout prisés par les garçons adolescents et que les personnes agressives sont plus attirés par les media violents que les personnes non-agressives. Par ailleurs, il a été mis en évidence que l’addiction aux jeux vidéo est corrélée positivement avec l’animosité et négativement avec la réussite scolaire et l’acquisition des habiletés sociales. Enfin plus les personnes sont fortement dépendantes aux jeux vidéos plus elles jouent à des jeux vidéo violents. A partir de ces données les auteurs ont décidés de se focaliser sur la population masculine adolescente et d’explorer leurs attirances pour les jeux vidéo en parallèle avec plusieurs caractéristiques comme l’agressivité, l’empathie, le niveau d’éducation, le temps passé à jouer aux jeux vidéo, l’addiction aux jeux vidéo et le pays d’origine.
La procédure de l’étude de Lemmens & Bushman se déroule en trois étapes. Tout d’abord, les participants remplissent une série de questionnaires destinée à mesurer l’agressivité, l’empathie, l’addiction aux jeux vidéo et l’usage de ces derniers. Dans un second temps, les expérimentateurs présentent douze descriptions de jeux vidéo fictifs (six violents et six non-violents). Les participants doivent pour chaque jeu estimer à quel point ils ont envie d’y jouer, puis choisissent parmi les douze celui qu’ils préfèrent. Enfin, les participants donnent les noms de leurs trois jeux vidéo préférés. Ces jeux sont ensuite catégorisés comme violents ou non-violents par deux juges indépendants.
Parmi les principaux résultats de cette étude, on peut remarquer l’intérêt général des adolescents pour les jeux vidéo violents. En effet, globalement les adolescents préfèrent jouer à des jeux vidéo violents qu’à des jeux vidéo non-violents. Les trois jeux vidéo préférés des adolescent étaient tous des jeux vidéo violents.
On constate aussi des différences entre les adolescents belges et néerlandais. Les adolescents belges expriment davantage de désir pour jouer aux jeux proposés par les expérimentateurs. Cependant, au quotidien, les adolescents néerlandais passent plus de temps à jouer aux jeux vidéo et sont aussi plus nombreux à être dépendants. Cette dernière donnée confirme le fait que plus le nombre d’heures de jeu est grand plus les risques de dépendance sont importants.
Le cursus scolaire suivi semble avoir une influence. En effet, les adolescents orientés vers un cursus court expriment une envie plus importante de jouer aux jeux proposés par les expérimentateurs que les adolescents suivant un cursus scolaire long. Ils passent aussi plus de temps en moyenne à jouer aux jeux vidéo et choisissent plus fréquemment des jeux violents.
Enfin l’empathie et l’agressivité sont aussi des déterminants de la relation des adolescents avec les jeux vidéo. Plus les adolescents sont empathiques plus ils choisissent et souhaitent jouer à des jeux vidéo non violents. A l’inverse les adolescents ayant un score important à l’échelle d’agressivité passent globalement plus de temps à jouer aux jeux vidéo et choisissent préférentiellement des jeux violents.
En conclusion de leur article, les auteurs apportent des pistes de réflexion par rapport aux résultats obtenus. En effet, ils soulèvent de nombreuses questions intéressantes tant du point de vue psychologique que sociétal. Cependant ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Dans ce sens il convient d’être vigilant quand à la méthode de l’expérience et notamment dans la définition des modalités des variables indépendantes.
Problème de la définition d'un jeu violent
Par exemple, les auteurs définissent les jeux vidéo violents comme les jeux où la progression nécessite de tuer des êtres humains. Cette définition est très restrictive. Il semble important de distinguer le concept et la forme du jeu. Il existe des jeux de stratégie comme Pandemic II où le concept est violent (Le joueur incarne un virus qui a pour but de se répandre à travers le globe afin d’anéantir l’humanité) mais où la forme du jeu ne l’est pas du tout (L’interface se compose essentiellement de tableaux de données et de cartes) A l’inverse, un jeu comme Unreal Tournement III peut apparaître comme violent dans sa forme (les joueurs tirent les uns sur les autres avec des armes) pourtant le jeu revêt un aspect tactique (s’emparer d’un drapeau dans le territoire adverse) et suppose une forte coopération entre les joueurs. Dans ce sens, il semble qu’on ne puisse pas catégoriser un jeu vidéo sans en avoir une vision globale. En effet, un jeu vidéo est avant tout une création originale qui ne se résume pas à la somme de ces ingrédients. Tenter de décortiquer un jeu vidéo pour le catégoriser peut faire perdre de vue l’essentiel à savoir l’ambiance et le ressentie du joueur. Il serait intéressant de catégoriser les jeux en fonction du ressentie des joueurs notamment lorsqu’on parle de violences. En effet, c’est une notion complexe qui ne se résume pas à une simple atteinte à la personne. L’interprétation d’une situation comme étant violente est subjective car elle dépend de l’individu mais aussi de son contexte. Le fait d’avoir recours à des juges indépendants pour catégoriser les jeux vidéo est une excellente idée cependant le critère de catégorisation n’étant pas le plus pertinent, il semble que l’on effleure les concepts de violences et de jeux vidéo sans jamais cerner réellement ce qu’est un jeu vidéo violent. Il est regrettable que les aspects subjectif, situationnel et culturel de la violence n’aient pas été pris en compte dans la présente étude.
Pertinence de la variable choisi
Un deuxième point de l’étude peut soulever des réserves quant à l’interprétation des résultats. En effet, utiliser comme variable indépendante le type de cursus scolaire suivi par les participants n’est pas forcément pertinent. Les auteurs justifient cette distinction par une étude précédente ayant mis en évidence une corrélation négative entre l’intelligence et l’utilisation des jeux vidéo violents. Cette assimilation de l’intelligence au cursus scolaire suivi paraît abusive. Les orientations scolaires ou professionnels d’un individu peuvent être déterminées par de nombreux facteurs comme les capacités d’apprentissage ou de mémorisation mais aussi la personnalité, le contexte familial ou l’environnement culturel. Il est aussi envisageable que si les différences n’étaient pas préexistantes à l’entrée dans l’enseignement secondaire, le simple fait d’être affecté à un type d’établissement peut engendrer des différences importantes entre les individus. L’adolescence est une période de transition où les pairs ont une forte influence. Il est alors envisageable que les choix exprimés lors de l’expérience soient plus représentatifs d’une norme sociale partagée par les adolescents d’un type d’établissement plutôt que des opinions personnelles d’individus fassent à leur relation aux jeux vidéo et à la violence. De plus, comme le souligne les auteurs, les adolescents « lower educated » ont sans doute plus de temps pour s’investir dans les jeux vidéo et ce domaine leur apporte une source de valorisation sociale qu’ils peuvent plus difficilement obtenir dans le cadre scolaire que les adolescents « higher educated ». Ainsi il apparait logique, que les jeux vidéo, au même titre que les autres activités extrascolaires, prennent une place plus importante chez les adolescents « lower educated » que chez les autres.
Limite de la portée de l'étude face au enjeux du Jeu Vidéo
Un autre point mentionné par les auteurs, est que dans l'état actuel de la recherche, il est impossible de définir si le fait de jouer à des jeux violents augmente l'agressivité ou si l’agressivité augmente le temps passé à jouer à des jeux vidéo violents . Il convient donc d'être prudent dans l'interprétation de cette corrélation en ne concluant pas trop rapidement sur une relation de cause à effet. Il est tout à fait possible que les jeux vidéo ne jouent qu'un rôle de médiateur entre la personnalité et le comportement de l'individu. L'objectif de l'étude de Lemmens & Bushman est de déterminer quels types de personnes est attirés par les jeux vidéo violents. Cette étude ne permet pas de déterminer les effets potentiels des jeux vidéo sur les adolescents car la méthode et les hypothèses n'ont pas été élaborées dans cette perspective. Sur ce point les résultats de l'étude peuvent apporter des pistes mais en aucun cas des réponses.
L’intérêt principale de cette étude ne réside pas dans ses résultats qui sont difficilement généralisables mais plutôt dans sa démarche. En effet, elle pose la question de l’utilisation et de l’influence des jeux vidéo sur les individus. Le Jeu Vidéo est une composante de la société actuelle qu’il ne faut pas négliger car il revêt des enjeux financiers, culturels, politiques et de santé publique. Il s’agit d’une question de société qui doit être posée et à laquelle il faut des réponses fondées et argumentées scientifiquement.
L’addiction aux jeux et la banalisation de la violence semblent être les principales inquiétudes autour des jeux vidéos. Ces deux points sont surtout révélateurs de problèmes de société plus larges. En effet les dépendances avec ou sans substances se présentent comme une réponse à un mode de vie de plus en plus stressant et la banalisation de violence est un problème qui atteint l’ensemble de media (télévision, cinéma, presse, musique,…). Les jeux vidéo ne sont qu’un media parmi d’autre, à ce titre ils sont le catalyseur de la société actuelle. Lorsque que l’on suppose un lien entre la violence et le potentiel addictif des jeux vidéo, cela consiste simplement à reconnaître l’aspect attractif de la violence pour les êtres humains. Il est cependant extrêmement dommage de réduire l’ensemble des créations vidéo-ludiques à quelques jeux violents. Il s’agit d’un domaine riche et varié qui nécessite un minimum d’implication afin de trouver les jeux adaptés à chaque individus. Dans le cas des mineurs, cette responsabilité incombe aux parents mais dépend aussi plus largement d’une volonté politique.
Conclusion
Les jeux vidéo peuvent être comme nous l’avons évoqué plutôt une source de valorisation qu’il convient de ne pas dénigrer. Les jeux vidéo permettent l’acquisition de certaines compétences psychosociales comme savoir résoudre des problèmes, avoir une pensée créative ou encore savoir gérer son stress. Ces compétences font partie des points essentiels à développer cités dans la charte d’Ottawa (1986). En tant que professionnels, il paraît alors inconcevable de ne pas utiliser l’ensemble du potentiel éducatif des jeux vidéo afin de favoriser chez un individu la création et le maintien d’un état de bien-être mental.