La fin certaine des civilisations
telles que nous les connaissons?
Quand le désert empiète sur les terres fertiles
(ici près de Duhang, en Chine)
Doom, Doom, Doom, tel est le refrain sinistre dont de plus en plus de scientifiques qui ne cherchent pourtant pas le sensationnel veulent aujourd'hui nous rendre conscients. Que disent ces Docteurs Doom, comme les désignent leurs adversaires ? Qu'il est désormais trop tard pour compter sur la réduction de la production des gaz à effets de serre pour éviter une hausse de 4° C minimum des températures moyennes d'ici 2050-2090. La réduction des émissions, pour être efficace, devrait être, tous facteurs confondus, de 75% par an vers 2015. Or, malgré les mesures à grand peine entreprises aujourd'hui, la courbe restera croissante d'environ 4% par an. Malheureusement, une hausse de 4° des températures détruirait les civilisations tels que nous les connaissons.
Nul ne voit en l'état actuel des technologies comment les émissions, et autres causes de réchauffement associées, pourraient être réduites, ni dans la décennie ni plus tard. On se trouve en face, comme nous l'avons souligné par ailleurs, de mécanismes anthropotechniques échappant à tout contrôle par ce que l'on croit encore nommer la volonté humaine. Chacun défend son petit intérêt et la maison, selon le mot plus que jamais valable de Jacques Chirac, continuera à brûler. Nous devons pour notre part saluer le magasine britannique NewScientist qui dans son numéro du 28 février 2009, a enfin ouvert ce dossier terrifiant(1).
Pour les scientifiques, qui s'évertuent à nous alerter, James Hansen, Paul Crutzen, Peter Cox, sans oublier James Lovelock(2), il est donc temps de préparer deux types de solutions aussi hasardeuses les unes que les autres. Les premières consisteront à envisager sérieusement les méga-projets dits de géo-ingénierie visant à diminuer l'ensoleillement de la Terre et accélérer les processus d'absorption des gaz à effet de serre. Ces projets étaient considérés jusqu'ici comme des tentatives émanant de divers lobbies politico-industriels pour ne pas réduire la consommation de pétrole ou pour faire financer des programmes technologiques plus faciles à vendre dorénavant que les grands programmes d'armement des décennies précédentes. Les approches jusqu'ici envisagées (et parfois testées à petite échelle), n'apparaissaient pas convaincantes. Elles étaient grosses de risques mal étudiés susceptibles d'être pires que le mal. Mais pour les plus sérieux des Docteurs Doom concernés, si l'humanité se trouvait confrontée à une destruction proche, elle pourrait sans doute développer de tels programmes, sciences et technologies aidant, à des coûts abordables. On enregistrerait certainement des retombées négatives, mais celles-ci ne seraient pas pire que ce qui se passera si rien n'est fait.
D'autres types de solutions devraient être conduites, y compris en parallèle des premières car la géo-ingénierie ne serait certainement pas efficace à 100%. Il s'agira de préparer dès maintenant la survie des humains sur une Terre dont les régions habitables et productives actuelles seront détruites par le réchauffement. Les problèmes à résoudre seront immenses. Il faudra d'abord abandonner les zones les plus peuplées et les plus fertiles, qui auront été soit inondées soit désertifiées. On les évacuera au profit de zones encore inhospitalières aujourd'hui, mais qui deviendraient vivables, aux pôles et dans les régions de toundra qui s'étendent au nord des continents américain et eurasiatique. Dire que ces régions seraient vivables est excessif. Elles permettront tout juste la survie. Les milliards d'humains concernés seront obligés de s'entasser dans des mégapoles verticales destinées à libérer le maximum de terres cultivables et d'aires industrielles consacrées à la production d'énergies renouvelables. L'alimentation sera principalement végétale ou artificielle. La vie sauvage sous ses formes actuelles disparaîtra totalement, sur terre et dans les mers. Ne survivront que les parasites et bactéries.
L'avenir sera en fait si sombre, les plaisirs et joies attachés à la vie d'aujourd'hui se seront tellement raréfiés que l'humanité traverserait certainement des crises morales profondes, avec augmentation des suicides et refus de la reproduction. Si à cela s'ajoutent les guerres et affrontements, ainsi que des pandémies inévitables, la population pourrait tomber, comme le pronostique James Lovelock, à un petit milliard d'humains. Mais cela serait suffisant pour assurer la survie de l'espèce. Les spécialistes de la gestion des grands systèmes collectifs mettent de toute façon en garde. Les solutions esquissées ici, évacuation et réimplantation, gestion nécessairement autoritaires des ressources subsistantes, contrôle des affrontements entre les mieux dotés et les autres, conflits ethniques et religieux, nécessiteront des appareils d'administration publique et de gouvernement mondial dont les organisations nationales et internationales contemporaines se montrent incapables.
Les scientifiques, climatologues ou ingénieurs qui envisagent ces solutions ne sont pas très nombreux. Apparemment, beaucoup préfèrent faire ce qui a jusqu'ici toujours été fait : se fier à la survenue d'événements ou de découvertes qui modifieraient le diagnostic. Ainsi peut-on continuer à mener le train actuel, même si la survenue de crises de plus en plus violentes, comme nous allons en vivre prochainement, dément la pertinence d'un tel optimisme. Nous pensons pour notre part qu'il est devenu désormais indispensable d'adopter les versions les plus pessimistes des projections. Certes, les grands dégâts prévus par les prévisionnistes n'affecteront que les enfants ou les petits enfants des adultes d'aujourd'hui. Pourquoi s'en inquiéter déjà ? Par ailleurs, nombre de personnes plus âgées dont certaines détiennent les leviers de commande, se rassureront, si l'on peut dire, en se disant qu'elles ne verront pas tout cela. Mais ce serait, pour les uns comme pour les autres, se comporter avec un aveuglement et un égoïsme bien contraire à l'esprit scientifique. Il nous semble qu'il faut au contraire dès maintenant se préparer au pire, non seulement en élaborant des modèles théoriques réalistes, mais aussi en réduisant fortement des trains et modes de vie qui, quoiqu'il arrive, sont déjà condamnés(3).
Notes
(1)
http://www.newscientist.com/article/...g-century.html
(2) James Lovelock : "The vanishing Face of Gaïa", Allen Lane, 2009 : voir notre recension.
(3) Il ne s'agit pas seulement de réduire la consommation de combustibles fossiles, mais celle de l'eau. Le dernier rapport du Pacific Institute, organisme de recherche américain sur l'eau, met en évidence les tensions politiques sur l'accès à l'eau potable, dont les industriels devraient dès maintenant se préoccuper...
http://www.pacinst.org/press_center/...port_0209.html