De mon côté c'est à partir de l'école avant le lycée (collège?) que ça a commencé à sortir un peu (gentiment) des rails. Je sais pas comment est le système français, mais en Suisse à l'époque, à 12 ans tu étais orienté vers un des trois degrés du collège. Le premier te menant au lycée et potentiellement aux études supérieures. Si je me rappelle bien, il fallait une moyenne de 8,4/10 à l'année + examens pour être orienté dans le premier degré. J'ai fait 8,4.... Ce flirtage avec la limite c'est un peu l'histoire de ma vie. Et assez clairement, si j'avais eu 8,3 ma vie aurait probablement complètement changé.
Donc me voila au collège ! Et comme je suis nul en allemand, j'opte pour la voie scientifique. La première année se passe tant bien que mal. La moyenne à avoir est à 6, j'ai à peine plus. Mais dès l'année d'après, à 14 ans, je suis rattrapé par mon manque de travail. Je redouble l'année et c'est là que je rencontre les potes que je vois encore aujourd’hui, 30 après.
A 16 ans rebelote, dernière année de collège que je fais en deux fois. J'ai donc mis 6 ans pour faire un parcours scolaire de 4ans :notbad : Mais je suis toujours sur la voie du lycée, on ne m'a pas changé d'orientation (il devait y'avoir 1/4 ou 1/3 des élèves qui allaient au lycée à cette époque) ! Mes parents ont dû passer par pas mal d'états d'âme, mais ils m'ont soutenu. Et engueulé. Et soutenu. Et engueulé.
Ca devait être d'autant plus dur qu'il y a eu révélation d'un gros drame familial aux alentours de cette époque (un truc dont on parle pas trop, qui transpire, qu'on sent suinter de manière insidieuse sans savoir ce que c'est. En fait je pense qu'on m'en a parlé à l'époque. J'en suis sûr. J'en ai même le vague souvenir. Mais j'ai aussi l'impression que j'ai complètement bloqué cette conversation).
C'est aussi une période où je picole trop. J'ai eu de grosses exagérations lors d'énormes fêtes au bord du lac avec des amis, je buvais à la maison quand mes parents étaient pas là etc. En conjonction avec tout ça, même si je suis soutenu, je reste un peu seul à la maison. Je parle pas. Je pense qu'il y'avait un syndrome inconscient du « c'est déjà la merde d'un côté, donc n'en rajoute pas. Débrouille toi. » Par contre, avec les potes tout va bien ! C'est des années géniales de ce côté là.
Après 3 ans (ce qui paraît pas énorme, mais enfin j'avais entre 15 et 18...), je cesse d'un coup de boire. Je n'arrive pas savoir comment ça c'est passé, ni pourquoi je l'ai décidé, mais c'est ce qui s'est passé. J'ai arrêté pendant tout le lycée. Pile au moment où généralement tu t'y mets. En parallèle et depuis que je suis petit, j'ai jamais arrêté de faire du sport. Là j'augmente encore la dose.
Le lycée passe étonnamment tout droit. Je me viande sur les branches qui demandent de l'apprentissage, je survole celles qui demandent de la réflexion et au final ma moyenne en première est limite, en deuxième c'est bien et en dernière année c'est vraiment pas mal.
Et comme j'avais bien aimé la chimie, je me dis : pourquoi ne pas tenter ça ? Donc direction l'école d'ingénieur où je me prends une volée monumentale. Ca n'a RIEN à voir avec ce que j'avais fait avant. Je bosse pas assez (enfin, moi j'ai l'impression que si. Et effectivement, je bosse bien plus qu'avant... Faut juste pas comparer aux autres quoi.), c'est trop compliqué pour moi etc. Je fais deux fois la première année et je rate. J'en suis donc à +4 ans sur le cursus. Et il faut que je parte de zéro sur un truc.
Comme j'en peux plus de rater, ni de regarder de manière hyper spécialisée un tout petit pan de la vie, je cherche l'inverse. Un machin où tu sors la tête et tu regardes tout. Alors hop, direction la faculté de sciences politiques. J'arrive donc ici avec 4 ans de plus que la majorité des étudiants. Et c'est là que je remarque :
1° Que mon background scientifique, aussi peu avancé soit-il, est un énorme atout. Je suis en permanence entouré de gens qui n'ont aucune logique. Qui ne savent pas se structurer. Moi j'y arrive hyper facilement. Je peux avoir des discussions contradictoires avec les profs qui utilisent des métaphores foireuses à base de connaissances scientifiques du siècle passé. Je suis le petit con qui pose des questions que passablement de gens dans l’auditoire ne comprennent pas et qui fait lever un sourcil au mec qui fait le cours. Ca me change et ça fait du bien putain !
2° (oui, y'avait un deux) je suis habitué à l'échec. J'ai pas peur de rater. Je l'ai fait tellement de fois que c'est ma spécialité de rebondir. Du coup, je perds pas mes moyens devant la difficulté. Et je constate que c'est une position minoritaire. Je suis avec des étudiants de 18-19 ans qui ont passé tout droit leur cursus scolaire. Et là ça se corse. Là tu es libre, tu t'organises comme tu veux. Y'a pas de trucs à apprendre, faut se créer un cadre de référence, s'organiser une méthode et une pensée. Et pour une fois, je suis à mon avantage ! Donc je traverse tout ça hyper sereinement, je rends même mon mémoire 6 mois à l'avance. Rendre un travail en avance ! Moi ?!? Bon, j'avais réussi à trouver un prof qui trouvait normal que les jeux vidéo soient étudiés, on était en 2004 et ça n'existait pas. J'ai donc fait un mémoire sur les Civ like et leurs représentations des systèmes politiques et des contextes historiques. C'était rigolo. Y'avait zéro littérature là-dessus, j'ai dû inventer une manière d’analyser, créer des outils etc.
Sorti de l'uni je trouve rien, donc je me dis que je vais faire des remplacements à l'école. Je suis directement embauché, avec zéro expérience, pour remplacer un congé maternité. 9 mois. Direct. Je suis le deuxième à prendre le job. Le premier qui a tenté a abandonné après 2 semaines... Classe difficile. Et là, j'en chie ! Je sais pas comment les prendre, je sais pas le programme, je sais pas les méthodes. Je sais rien. Je m'accroche et j'en fais des cauchemars. J'en tire une conclusion : plus jamais.
Une fois l'année passée (je suis allé au bout) je me mets au chômage. Et j'en profite sans culpabiliser. J'ai fait tout ce qu'il fallait pour avoir une formation. J'ai fait un job que j'ai détesté pour pas aller tout de suite au chômage. Je cherche activement du travail et y'en a pas. Je vais pas en plus me flageller. Du coup c'est une de mes plus belles périodes. Jusqu'à ce que j'arrive quasi en fin de droit. Je commence à me poser des questions, je sais que mon CV est bon (j'ai eu sur une offre spontanée dans une grosse boîte un type qui m'a rappelé et qui m'a dit qu'il me voulait pour un poste qui allait peut-être se créer. Ca c'est pas fait, mais ça m'a rassuré. Personne te rappelle sur une offre spontanée...), mais ça suffit pas.
Et là, tout se débloque ! Mon meilleur pote qui est journaliste me dit qu'il y'a un congé maternité à remplacer dans sa boîte, une TV régionale. Je vais voir le directeur qui m'engage pour les mois à pourvoir. Je serai donc JRI (journaliste qui tourne lui-même ses sujets. Chez nous, en plus tu les montais).
Et là : révélation, je suis doué ! Niveau journalistique c'est le rush, tu reçois un sujet le matin et tu dois le rendre le soir, en ne sachant rien du truc sur lequel tu tombes. Mais je m'aperçois que je sais où regarder pour trouver les infos intéressantes. Je me perds pas dans les détails, je sais où trouver le truc qui vaut la peine et mobiliser mes autres connaissances. Niveau caméra, c'est hardcore. C'est de la beta cam (grosse cam à bande) l'oeilleton est en noir et blanc, donc tu sais jamais si tes réglages de couleur sont corrects et parfois tu rentres avec des images bleues... Mais j'apprends vite, j'y prends plaisir et je deviens vraiment bon. Les mois passent vite et une fois le congé mat terminé, mon boss veut me garder. Il me bricole un 80% avec des morceaux de trucs à gauche à droite et au bout d'un moment je choppe un poste de journaliste stagiaire. Je fais la formation professionnelle en parallèle pour chopper le titre de journaliste et en tout je vais faire ce job pendant 7 ans.
Comme c'est de la TV régionale, y'a des opportunités pour faire des tonnes de trucs. Vu que je me débrouille bien à la caméra, je suis aussi beaucoup utilisé par le chef de la technique qui me mets avec ses cameramen sur les trucs un peu tendus (matchs de hockey ou de volley en direct, caméra sur moto pour un triathlon, concerts etc.). Je m'occupe pendant un temps de l'émission des sports (je remarque au passage que je déteste gérer des gens), je dépanne en présentation, je fais 2 ans de chroniques hebdomadaire de Jeux vidéo etc.
Mais sur la dernière année, j'en peux plus. La structure a complètement changé (nouvelle boîte) et le type de reportages aussi. Faut faire ces putains de faits divers. Aller fouiner comme un connard devant des maisons. Trouver des voisins qui te disent ce qu'ils pensaient du mec qui a été tué (pro tip, personne se doute jamais de rien, tout le monde dit bonjour et à l'air sympa). Et faire du rien avec du rien. J'en arrive à un stade où je vais au boulot la boule au ventre et quand je vois les manchettes de journaux le matin et qu'il y'a une merde imprimée, je me dis « bordel, j'ai rien de prévu aujourd’hui, ça va être pour ma gueule ». Je déprime pendant des mois à me demander s'il faut que je parte. Et tout à coup !
La qualité de mon boulot paie !
Le directeur d'une boîte de production m'appelle et me propose un job de cameraman monteur. Je saute sur l'occasion. Là aussi je fais plein de trucs, le plus chouette étant probablement les captations de concerts dans les festivals. Mais quand mon gamin commence l'école, j'ai besoin de me poser. Ca fait 15 ans que je bosse avec des horaires irréguliers. Des trucs du genre « demain t'étais prévu à 9h, mais on a besoin de toi à 7h30 » ou «samedi y'a un tournage le soir et c'est ton weekend de perm ». C'est usant et c'est difficile de gérer la vie de famille.
Et là j'ai l'illumination !
Je demande à ma boîte de me fixer sur un mandat qu'on a avec la télévision suisse. Un mandat de montage à 50% (tous les après-midi). Je perds la caméra, ce qui est un peu chiant, mais je gagne des horaires fixes ! Je connaissais pas. En fait, c'est génial ! On te dit que tu finis à 19h et tu finis à 19h !!!!
Et sur ce mandat, je suis surqualifié. Résultat, je vais hyper vite et je peux aider les journalistes quand ils sont un peu coincés. Du coup les gens aiment bosser avec moi, on s'entend bien et j'ai une chiée de temps libre au boulot (tant que personne ne vient avec un sujet, j'ai rien à faire, donc je regarde des trucs, je lis etc.).
La résultat au final c'est que je suis probablement l'homme le plus heureux du monde.
Les matins je suis homme au foyer. Je m'occupe de mon gamin. Je l'amène à l'école. Je fais des taches ménagères, je fais la bouffe, je vais le chercher à midi. On mange ensemble, je le ramène à l'école et ensuite je vais au boulot. Je passe donc plein de temps avec lui et une fois abattues les tâches de la semaine, j'ai du temps pour moi les matins.
Au boulot je suis jamais dans le dur. Même les trucs stressants à la der je les gère sans problème. J'ai plein de temps morts (ça se compte en heures chaque semaine) durant lesquels je peux faire ce que je veux (genre écrire ce texte) vu que je suis dans un bureau tout seul. Mon travail est TOUJOURS terminé le soir. Y'a rien à refaire le lendemain, pas de merdes qui te restent. Donc hyper serein.
J'ai pas non plus à chercher quoi faire, contacter des gens, prendre des initiatives, écouter des boss etc. Quelqu'un vient vers moi en me disant « on va faire ça » et je le fais de manière hyper professionnelle tout en me marrant avec la personne. Si comme moi vous n'avez absolument aucune ambition et qu'un job c'est avant tout là pour vous faire vivre, c'est l'idéal.
Les seuls bémols que je mets c'est pour mon avenir. Premièrement en sortant du journalisme pour aller vers la technique, je restreins mon horizon de reconversion. Mais j'ai décidé que mon présent effectif valait plus que mon avenir hypothétique.
Deuxièmement, ce mandat est reconduit de 5 ans en 5 ans avec appel d'offres. Donc potentiellement il peut tomber. Surtout que le mandataire profite de sa position de monopole pour faire avaler des couleuvres. Et s'il va trop loin, ce sera plus rentable pour mes boss.
Y'a aussi le bémol du pognon. Je suis à 50% et je travaille deux jours de week-end par mois qui sont payés, donc je suis à 60% de salaire grosso modo. Je vis confortablement, je peux acheter des petits trucs sans trop réfléchir, mais je fais pas de folies. Mais bon, c'est pas vraiment mon genre donc ça passe. Je fais juste un peu plus gaffe qu'avant, quand je faisais pas gaffe du tout.