(...) , que Garcia Oliver qui s'était placé de lui-même à la tête des milices catalanes et avait dressé des plans de guerre qui immobilisèrent Durruti aux portes de Saragosse, puis abandonna vite son poste, pour devenir, ô dérision s'agissant de lui, ministre de la justice. L'initiative a manqué ; on a laissé à l'adversaire le temps de renforcer son armement, le loisir de chercher le terrain et le moment les plus favorables pour porter ses attaques. Le génie tactique dont un Makhno avait fait preuve en Ukraine quand il obligea le général Denikine à arrêter sa marche sur Moscou, a manqué totalement.
Et nos grands personnages, ou qui se prirent très vite pour tels, n'ont pas plus été à la hauteur des événements sur le plan politique que sur le plan militaire. Leur rôle, au sein du gouvernement, fut simplement pitoyable. Après qu'ils en eurent été évincés, ils se lamentèrent de ce que staliniens, socialistes, républicains les eussent bloqués dans toutes leurs initiatives, et ils avaient raison. Malheureusement ils se prêtèrent à ce jeu dans lequel ils furent toujours dupes et perdants.
Quand on fait le bilan de ce collaborationnisme on arrive à la conclusion que la promenade dans les allées du pouvoir fut négative en tous points. (...)
il y eut déviation et ridicule, en faisant le jeu de l'adversaire, et en ne sauvant rien du tout.
La seule œuvre constructive, valable, sérieuse qui s'est faite pendant la guerre civile a été précisément celle de la révolution, en marge du pouvoir. Les collectivisations industrielles, la socialisation de l'agriculture, les syndicalisations des services sociaux, tout cela, qui a permis de tenir pendant près de trois ans et sans quoi Franco aurait triomphé en quelques semaines, a été l'œuvre de ceux qui ont créé, organisé sans s'occuper des ministres et des ministères. Du point de vue de la conduite de la guerre, de la résistance à Franco, nos ministres n'ont rien pu obtenir qui fût utile. Nous les avons même vus se faire l'écho des calomnies de Largo Caballero contre les défenseurs de Malaga, accusés d'avoir livré la ville à Franco, alors que l'abandon dans laquelle ils avaient systématiquement été laissés devait, fatalement, provoquer la chute de la ville. Le front d'Aragon, qui ouvrait la voie aux fascistes sur la Catalogne, ou aux troupes antifascistes vers le cœur de la Vieille Castille, a été systématiquement saboté, privé d'artillerie, d'aviation et de défense antiaérienne. Pendant la première année de guerre, il était possible d'enfoncer ce front où les fascistes ne disposaient que de quelques milliers d'hommes, forces mobiles pourvues de moyens de transport rapides qui accouraient lorsqu'une attaque se produisait. On n'a pas pu le faire par manque d'obus et de balles, ce qui a empêché de soulager le front de Madrid, et fait massacrer des dizaines de milliers de combattants pour rien. . Mais on a préféré envoyer systématiquement les armes disponibles sur le front du Centre, qui était le moins vulnérable, (...)
Un autre aspect du sabotage qui contribua à la déroute fut le refus du gouvernement de Valence d'aider financièrement celui de Barcelone pour l'achat des armes ou de matériel pour en fabriquer. (...)
Eh bien, contre tout cela nos ministres n'ont rien fait, rien pu ou voulu faire. Leurs protestations tombaient dans le vide, mais ils ne dénoncèrent pas ce sabotage "parce que nous collaborions au ministère et que nous ne devions pas polémiquer devant l'opinion publique". (...)
un des enseignements à retenir de cette incartade collaborationniste fut le mal causé par le poison du pouvoir. Dans l'ensemble, les forces de base de la C.N.T. sont restées saines, admirablement saines, ainsi que les militants libertaires que nous avons trouvés dans les collectivités ou à la tête des syndicalisations. Acharnés à construire, avec un effort de volonté enthousiaste, obstinés à réaliser leur idéal, ils ont laissé s'agiter les ministres, les gouverneurs, les chefs de police, les secrétaires de ministères, les fonctionnaires d’État et les pantins bavards... Mais dans leur grande majorité, les anarchistes égarés hors de leur milieu propre ont été intoxiqués par le gouvernementalisme avec une rapidité navrante. Certains auraient même fondé un nouveau parti politique sans l'opposition de la base.