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  1. #1
    Ici, on cause game design. On peut aussi bien parler d'un jeu en particulier que de concepts plus généraux, partager un article, le commenter, le critiquer, etc. Un peu tout, en fait, du moment que ça se rattache au game design. On privéligie l'objectivité froide, l'analyse et l'argumentation. Le point crucial est que votre opinion du jeu ou genre en question, on s'en fout. Mais quelque chose de concret, hein, on n'est pas sur le topic de la hype. Ça veut dire que les gros lourds, vous décarrez, même quand ça parle RPG - et ça parlera tôt ou tard de RPG. Les débats à couteaux tirés, les trolls et les gifs sont vivement recommandés mais il faut le faire bien.

    Puisque c'est de saison, on attaque avec cette conférence de Jonathan Blow :



    Oui c'est encore lui, oui j'en ai marre de le voir partout, oui le titre est pompeux, oui il fait quelques raccourcis, oui il part d'hypothèses qui ne tombent pas sous le sens, oui il donne parfois l'impression d'être un croisement entre un hippie new age et Jean-Claude Van Damme mais il lui arrive aussi de raconter des choses très intéressantes.

    Il fait le postulat suivant : les jeux « anciens » - avant 1990, en gros - étaient austères et, il faut bien le dire, souvent très chiants. Pour leur donner de l'épaisseur et les rendre plus accrocheurs, les game designers ont développé quatre outils principaux, en adoptant une approche scientifique* : l'intrigue, l'esbrouffe (graphismes, notamment), la proximité immédiate du prochain objectif et le sentiment de récompense/progression (qui se résume souvent à des stats plus élevées ou un plus gros canon). L'ennui est que ce sucre, censé ajouter de la saveur, a fini par devenir le seul ingrédient de beaucoup de jeux actuels. On peut s'amuser comme ça à effeuiller plein de jeux et voir ce qu'il en reste.
    Lui, il prend l'exemple de Diablo, non sans une certaine mauvaise foi. Donc on prend Diablo, on vire l'histoire, on gicle les effets pyrotechniques, on jette le loot et tout l'aspect boîte de Skinner, et ça donnerait basiquement les échecs. Premier point de désaccord : ce n'est vraiment pas sympa pour les échecs. Deuxième point de désaccord : l'intérêt principal d'un hack'n slash réside dans le cœur de la sa meule. Eh oui coco, il y a un core gameplay. Je rappelle que la conférence date de 2010, que Torchlight est sorti en 2009 et qu'avant lui, c'était la norme de s'ennuyer sur les combats d'un hack'n slash, mais quand même, cette dimension existait et elle pouvait justifier l'intérêt du genre. Pas sa pertinence, hein (autant jouer à un jeu de baston), mais son intérêt. Troisième point de désaccord : il est où le rapport entre l'intelligence et la finesse des échecs, toute la dimension stratégique, et la bêtise d'un hack'n slash ? Je cherche encore.
    L'autre exemple est celui de Farmville dont une version honnête parle d'elle-même. Il explique au passage en quoi ceux qui conçoivent ces horreurs et les vendent sont de gros fils de putes.**
    Ce faisant, on peut placer tous les jeux sur une frise. À un bout du spectre, on aurait les jeux « purs » (voire bénéfiques pour le joueur) mais sans signification, comme les échecs, et à l'autre bout, les jeux « creux » comme Farmville, nuisibles. Entre les deux, on peut imaginer toutes les variations possibles. En particulier, j'imagine bien une large plage réservée aux jeux « sympas sans plus ». Vous savez, tous ces jeux auxquels on joue (enfin, pas moi) sans vraiment de déplaisir mais sans vraiment non plus prendre son pied, comme engourdis, au point d'oublier même y avoir joué. Ils emploient exactement ce genre d'artifices. À noter que cette frise ne présume pas de la « qualité » (terme à définir) du jeu bien qu'il puisse y avoir une corrélation.

    Là, j'ai plus ou moins paraphrasé la première partie de la conférence mais il y aurait beaucoup à dire sur le reste (je garde ses arguments sur le consentement pour le jour où un veau me parlera de « voter avec le porte-monnaie »). Je vous invite à la regarder intégralement, l'accent est compréhensible.





    * Les méthodes de rationalisation du développement et l'application des sciences cognitives sont traitées en fil rouge tout le long de la conférence, c'est hyper intéressant mais là, je ne vais pas trop en parler. Mais si vous arrivez à rebondir dessus, vous êtes des chefs.
    ** Il aborde également le sujet de l'éthique et de la responsabilité d'un game designer à plusieurs reprises, notamment l'utilisation des outils cités qui conduisent à ne pas respecter le joueur voire le manipuler. C'est très intéressant là aussi, on aura l'occasion d'y revenir.
    Dernière modification par DeadFish ; 15/02/2016 à 18h50.

  2. #2
    Je ne suis pas sur que tu aies bien retranscrit ce qu'il dit.

    Quand il parle des échecs, il ne dit pas que Diablo mis à poil donnera les échecs, mais que cela donnera l’équivalent des échecs pour du H&S. Il a plutôt raison, parce que qu'est-ce que Diablo à poil ?
    Un jeu au gameplay basique, entre des phases où tu dois te déplacer dans des niveaux sans saveur et d'autres où tu dois combattre toujours avec les mêmes armes toujours les mêmes ennemis, avec une emphase sur le skill de taper et d'éviter au bon moment, la seule récompense étant de ne pas mourir.

    Ce n'est pas forcément quelque chose de détestable en soi, et comme pour les échecs, les règles pourtant simples pourraient déboucher sur une complexité assez incroyable. Mais ce n'est pas un jeu sexy ni attirant sachant ce qui existe à coté et qui est bien doté de sa couche de sucre.
    De la même manière que PacMan et Impossible Mission ne sont pas intrinsèquement de mauvais jeux. Mais on a fait bien plus accrochant depuis.


    Pour en revenir au sujet principal, j'aime beaucoup son approche éthique des choses. Ceci dit je ne partage pas totalement son idée que la fameuse boite à 4 outils (histoire, beauté du jeu, but clair et proche, amélioration constante) est un plus qu'on rajoute au dessus d'un squelette de jeu. Tout simplement parce que certains de ces outils sont au cœur même du fameux squelette. L'exemple le plus immédiat est de se demander ce que serait les jeux d'aventures ou les point&click sans la composante histoire ?
    A mes yeux les choses un petit plus complexes et imbriquées que ce que sa théorie présente ici. Mais bon j'en suis qu'à 40 minutes pour l'instant et il est vraiment vraiment bon.

  3. #3
    Citation Envoyé par Grosnours Voir le message
    Ceci dit je ne partage pas totalement son idée que la fameuse boite à 4 outils (histoire, beauté du jeu, but clair et proche, amélioration constante) est un plus qu'on rajoute au dessus d'un squelette de jeu. Tout simplement parce que certains de ces outils sont au cœur même du fameux squelette. L'exemple le plus immédiat est de se demander ce que serait les jeux d'aventures ou les point&click sans la composante histoire ?
    Un hidden objects, peut-être ? Après, pour l'histoire des quatre ficelles, ça reste des outils. J'ai du mal à imaginer un outil qui serait, dans l'absolu, mauvais. Dans la mesure où ils sont convenablement utilisés, où ils ont une réelle fonction, et qu'ils apportent de l'intérêt au jeu, pourquoi pas. C'est ce qu'il dit, d'ailleurs, il me semble, en parlant de The Witness, puisque, de fait, il utilise lui aussi ces outils. Dans le cas d'un point & click, l'intrigue sert de moteur à la résolution des énigmes. Sans objectif à court terme, on se retrouverait comme des andouilles à cliquer partout et assembler des trucs avec des machins. Bon, moi, c'est déjà ce que je fais mais j'ai un mot du docteur. Je note par contre que de très nombreux point & click l'utilisent très mal, notamment les « classiques », dans lesquels on fait tout de même des choses absurdes alors que l'objectif est souvent clair.
    Dernière modification par DeadFish ; 16/02/2016 à 14h55.

  4. #4
    https://killscreen.com/articles/the-...-be-disobeyed/

    L'article porte sur quelques jeux dont les règles consistent précisément à enfreindre les règles. L'auteure montre à travers quelques exemples comment faire ressentir de la défiance au joueur vis-à-vis du jeu et certains des mécanismes psychologiques à l'œuvre dans cette perception. J'ai toujours trouvé rigolos ces jeux qui détournent les poncifs, les espèces de règles tacites et immuables, fruits de de plusieurs années de conditionnement, ceux qui me font aimer être pris pour une andouille. Il y en a quelques-un qui me viennent à l'esprit là tout de suite maintenant.


    Immortall ou l'apologie du renoncement

    Il détourne un des codes les plus anciens du jeu vidéo, à savoir progresser vers la droite et protéger ses billes. Ça va à l'encontre du principe même de progression défi-récompense : tu joues bien, tu perds ; tu joues mal, tu perds quand même. Le renoncement, c'est quelque chose de très difficile à retranscrire en jeu vidéo, et ce bidule a le mérite d'essayer de le traiter intelligemment.


    Dark Souls ou le royaume du pleutre (pas la couleur)

    Dans la plupart des jeux, la progression spatiale et temporelle est limpide, le découpage transparaît clairement, quand il n'est pas carrément explicite (les niveaux 1-1, 1-2, etc. dans les Mario, notamment). C'est-à-dire qu'on passe d'un compartiment à l'autre et qu'on peut dire sans se tromper quand on avance dans le jeu. Ça passe, par exemple, par des « points de réévaluation », par la conception des niveaux ou bien encore par la difficulté qui augmente de façon linéaire. C'est vrai pour les jeux au level design linéaire, où c'est une manière parfois artificielle de maintenir l'intérêt, mais c'est également vrai pour les jeux au level design plus ouvert, de sorte à guider implicitement la progression du joueur (arrivé à un carrefour, si les adversaires sont trop coriaces à droite, je suis certain qu'il faut aller à gauche, par exemple). Dark Souls prend le contre-pied. Bon, pas tout à fait le contre-pied, parce qu'un chemin est toujours un peu plus évident que les autres pour tout un tas de raisons (notamment les feux, qui servent de démarcation), mais de manière générale, la difficulté participe à rendre les bordures floues. En particulier la façon qu'a le jeu de placer des ennemis hyper coriaces sur notre route. Le réflexe de base, conditionné par des générations de jeux, consiste à se friter. Pas de bol, on a toutes les chances de se prendre une rouste. Mais il est tout à fait possible, techniquement, de les battre, il faut juste en avoir dans le pantalon. Si bien qu'on ne sait jamais vraiment si on a pris le bon chemin et qu'on joue comme un pied ou bien plutôt qu'on s'est gourré de chemin. La fuite devient alors une méthode de résolution comme les autres, elle perd de son côté dégradant et devient active. L'affrontement continue de se jouer sur le placement, l'esquive et la maîtrise de l'environnement mais l'objectif (foutre le camp ou passer en force) et les moyens (cavaler) employés diffèrent. J'aime voir Dark Souls comme une fuite en avant perpétuelle : je ne sais pas où aller, je ne sais pas quoi chercher, je ne sais même pas pourquoi je suis là ; je ne veux qu'une chose, c'est atteindre le prochain feu et desserrer les miches.


    Antichamber ou la maison des fous

    Lorsqu'on joue, on se construit une représentation mentale de l'univers fictif. Ce modèle est une version simplifiée et retravaillée du level design de manière à le rendre compatible avec nos structures cognitives. C'est ce qui nous permet, par exemple, de jouer à Portal sans moufter : les portails n'ont pas besoin d'exister réellement pour saisir leur fonctionnement. Naturellement, le level design est rendu d'autant plus intelligible qu'il est cohérent avec notre expérience du réel, et inversement, plus ce qu'on voit à l'écran est éloigné de notre compréhension, plus on est chamboulé. Les objets impossibles, par exemple, sont basés là-dessus ; on n'arrive pas à les faire entrer dans une case et c'est ce qui crée le malaise. Donc le monde doit veiller à rester relativement proche du réel dans son fonctionnement d'une part, et constant dans ses mécanismes d'autre part. Autrement dit, si telle action intelligible a telle conséquence intelligible à un moment donné, la même action doit idéalement avoir la même conséquence un plus loin dans le jeu, sous peine de finir en eau de boudin (coucou Amnesia). Sauf qu'Antichamber a ramené sa fraise depuis et collé une bonne grosse mandale, non seulement parce qu'il se fout royalement de toute vraisemblance mais qu'en plus, il se permet de changer les règles en permanence, si bien qu'on a le sentiment de n'avoir plus aucune certitude ni emprise sur l'univers dans lequel on évolue, à tel point que je me suis retrouvé plusieurs fois sur le derche à essayer de comprendre ce qui m'arrivait. C'est grisant d'emprunter un chemin, de se retourner et de voir qu'un pan entier du niveau a disparu, ou bien encore de se ruer dans un couloir tortueux et se rendre compte après deux minutes à cavaler qu'il est infini dans un sens et pas dans l'autre. Et quand, derrière, le concepteur fait exploser le quatrième mur pour se moquer comme un sale, c'en devient presque flippant. Cela dit, tout ça fonctionne parce qu'il y a malgré tout un socle de règles immuables, on ne pourrait pas jouer, autrement. À ce titre, je trouve particulièrement dommage d'avoir intégré une map qui formalise l'espace alors que, justement, tout le jeu brouille les perceptions.


    Prince of Persia ou rien du tout parce que je ne trouve pas

    Cette séquence en particulier, où il s'agit de se laisser crever pour se faire rattraper par la greluche et ainsi la révéler parmi des illusions. En soi, c'est déjà très surprenant et antinaturel de devoir mourir dans un jeu vidéo après des années passées à l'éviter, mais ce qui est au moins aussi surprenant, c'est la manière dont cette mécanique sert la narration. On a tellement assimilé l'échec à une sortie du jeu (un écran de Game Over, un menu d'où relancer la partie, des trucs comme ça), et là, d'un coup, il y a ce jeu où l'échec fait partie intégrante de l'univers (« intradiégétique », on dit chez les cuistres), où le personnage échoue autant que le joueur et où je dois perdre pour gagner. Je me sens tellement bête d'avoir eu recours à une soluce alors que, finalement, c'est l'action la plus élémentaire qui soit, et je n'ai même pas été foutu de la voir, conditionné que j'étais à voir l'échec comme un bête quickload. Le jeu a d'autres fulgurances, dommage que le reste ne soit pas à la hauteur.
    Dernière modification par DeadFish ; 08/03/2016 à 10h58.

  5. #5
    Citation Envoyé par Grosnours Voir le message
    Je ne suis pas sur que tu aies bien retranscrit ce qu'il dit.

    Quand il parle des échecs, il ne dit pas que Diablo mis à poil donnera les échecs, mais que cela donnera l’équivalent des échecs pour du H&S. Il a plutôt raison, parce que qu'est-ce que Diablo à poil ?
    Un jeu au gameplay basique, entre des phases où tu dois te déplacer dans des niveaux sans saveur et d'autres où tu dois combattre toujours avec les mêmes armes toujours les mêmes ennemis, avec une emphase sur le skill de taper et d'éviter au bon moment, la seule récompense étant de ne pas mourir.
    Non. Diablo (2 puisque c'est le seul que j'ai, et je dois avoir dépassé depuis longtemps le millier d'heures) c'est du plaisir basique certes mais tout de même :
    Les niveaux sont beaux, et les labyrinthes toujours renouvelés par l'aléatoire en font un mini-jeu dans le jeu.
    Quand on joue pas avec le guide du grosbill sur les genoux et qu'on trade pas (ce que je n'ai jamais fait de toutes mes parties) on créé des persos qui vont dropper, puis des moins safe, ou alors qui ont besoin de plus de matos, on construit soi-même son perso et son équipement au fur et à mesure, pas juste un truc figé et acquis.
    Les mobs sont hyper variés, ont tous ou presque un pattern, je suis désolé c'est pas basique ni plus répétitif que bien d'autres types de jeu.

  6. #6
    Sur le fil de Mirror's Edge 2, ça discutait de la possibilité ou non d'enlever le marqueur d'objectif. Pour rappel, et comme son nom l'indique, le marqueur d'objectif marque l'objectif, le lieu où l'on doit se rendre. On lève les yeux et on a une idée à vol d'oiseau d'où on se trouve par rapport à la ligne d'arrivée. À ne pas confondre avec le fil d'Ariane ou la colorisation en rouge d'obstacles qui indiquent un chemin possible. Les partisans du choix avançaient les arguments habituels : ça casse « l'immersion », c'est trop « assisté », pas assez « réaliste » sans jamais se poser la question de ce que laisser le choix impliquerait.

    Mirror's Edge 2 est un monde ouvert, ça veut dire qu'il est théoriquement possible de relier deux points par plusieurs chemins. Il y a par ailleurs une dimension scoring avec des chronos à battre. Le tout avec la recherche de fluidité et de vitesse de Mirror's Edge. Maintenant, partant de ce constat, est-ce qu'un marqueur d'objectif est pertinent ? Raisonnons par l'absurde et mettons qu'il y ait le choix et que le marqueur soit désactivé, toutes choses égales par ailleurs : faute d'une architecture adéquate, on se retrouverait à devoir s'arrêter tous les dix mètres pour consulter une carte (ou appuyer sur un bouton qui tournerait le regard vers l'objectif), ça casserait le principe du freerun et les chronos deviendraient de fait injouables. On voit bien sur ce petit exemple que laisser la possibilité de désactiver le marqueur d'objectif péterait le jeu pour tous ceux qui choisiraient de le faire. Donc si on veut faire les choses bien, on doit envisager le cas de figure où l'on jouerait sans marqueur et modifier le jeu en conséquence afin de maintenir l'intérêt pour tout le monde. Et à moins de déployer des trésors d'inventivité, on rabote comme des sagouins et on nivelle par le bas.

    Au-delà de l'exemple de Mirror's Edge 2, je ne comprends pas l'obsession pour certains d'avoir le choix, comme si avoir le choix était une bonne chose dans l'absolu. Non, le choix n'est pas toujours une bonne chose. Je dirais même que c'est très souvent une mauvaise idée. Pourquoi ?

    J'évacue d'emblée les formalités : je ne discute pas ici des choix à faire dans le jeu, comme préférer une réplique à une autre, un équipement à un autre, etc. ni même aux options d'accessibilité (maintenir pour viser, par exemple) mais plutôt des choix qui touchent aux règles du jeu, c'est-à-dire ce que le joueur doit réaliser, les moyens d'y parvenir et les contraintes associées.

    Ça, c'est fait.

    Avant toute chose, il convient de distinguer la forme et l'intention. Tout choix de conception (la forme) est subordonné à un but (l'intention). Autrement dit, la forme est là pour servir le fond, quitte à sembler mauvaise hors contexte. Ainsi, un musicien, par exemple, peut insérer une dissonance pour créer un effet particulier, bien qu'une dissonance soit désagréable à l'oreille de manière générale. Pour un jeu vidéo, c'est la même chose, les créateurs ont insufflé une logique propre dans le jeu et agencé les éléments de manière à suivre cette logique. Le jeu est alors calibré de façon à garantir une expérience optimale eu égard à la vision d'origine. C'est un peu comme les dates limites d'utilisation optimale : avant, on gère, mais au-delà, on ne garantit plus que ça ait le même goût. Cette vue d'ensemble, cette connaissance a priori du jeu, par définition, les joueurs ne l'ont pas et ne sont donc pas à même d'y contrevenir. En lançant un jeu pour la première fois, on n'est pas en mesure de dire que changer tel paramètre ne va pas foutre en l'air toute la partie, que ce soit son intérêt (imaginez Dark Souls avec de l'autoregen) ou même sa viabilité (hors cas particuliers des modes Iron Man et de certains jeux basés là-dessus).
    Et quand bien même les joueurs auraient la connaissance a priori du jeu, quelle est leur légitimité à modifier la vision de départ des créateurs ? Attention, je ne parle pas de critiquer tel ou tel aspect du jeu qui pourraient être effectivement contestables, hein, je suis le premier à râler et insulter les mamans, je pose plutôt la question des limites du choix : où on s'arrête ? Dans NBA2K16, il n'y a pas de jet-pack, pourtant Dieu sait que ça pourrait être rigolo ; est-ce qu'il faut une option « Jet-pack : avec/sans » ? Et s'il n'y en pas, faut-il en conclure que le jeu est moins bon pour autant ? Dans Bionic Commando, on ne peut pas sauter, pourtant ça serait super pratique de pouvoir sauter dans un jeu de plateformes ; alors est-ce qu'il faut ajouter l'option « Sauter : oui/non » ? Et tiens, d'ailleurs, pourquoi ne pas carrément filer des cheats codes d'emblée et en clair ? C'est sans fin.

    Certains rétorqueront que si on ne veut pas utiliser telle option alors on ne l'utilise pas. Certes, mais ça revient à totalement déresponsabiliser les concepteurs de choix boiteux. Telle facette du jeu est bancale ? Qu'à cela ne tienne, on ajoute la petite option qui va bien et c'est marre, ou comment acheter la paix sociale en deux coups de cuillère à pot. C'est précisément ce qu'a fait SquareEnix sur les remasters des Final Fantasy : au lieu de retravailler le jeu en profondeur, ils ont simplement ajouté une option pour augmenter la vitesse et rendre le grinding abrutissant moins indigeste. Magique. Ton jeu est équilibré à la truelle ? Ne te prends pas le chou, l'ami, mets-y une sauvegarde rapide. Oui parce qu'au-delà des systèmes de jeu, ça pose plus largement la question de la difficulté et de l'équilibrage. Ça ne devrait pas être au joueur de bricoler le jeu - comme ce n'est pas au spectateur de retaper le montage d'un film en jouant sur les retours et avances rapides ou en regardant une scène sur deux - mais plutôt aux créateurs de veiller à maintenir l'intérêt quelque soit la configuration choisie.
    L'argument est d'autant moins recevable que les jeux ne tiennent souvent pas compte, en pratique, des différentes options, si bien qu'on est toujours plus ou moins contraints de jouer avec la configuration par défaut sous peine de se retrouver marron tôt ou tard, voire de rendre le jeu complètement inintéressant. Autrement dit, un certain nombre de possibilités, d'outils, sont mis à disposition du joueur pour franchir un certain nombre d'obstacles pensés pour tirer parti de ces outils, à lui ensuite de les utiliser au mieux. Il y a l'exemple hypothétique (le jeu n'étant pas encore sorti, on ne sait pas si on aura effectivement ce genre de paramètres) de Mirror's Edge 2 plus haut, mais je pourrais citer la plupart des jeux d'infiltration où se passer de la sauvegarde rapide relève sinon du sadomasochisme, du moins de la gageüre (Commandos 2, c'est à toi que je pense, entre autres).
    Le dernier point à ne pas négliger, c'est l'aspect psychologique, parce que ce serait oublier que, confrontés à deux configurations qui ne sont pas équivalentes en termes de difficulté, on tend naturellement à choisir la voie de moindre résistance. Le simple fait qu'une option existe la rend présente à l'esprit et effective dans la manière qu'on a d'aborder les situations, dans la mesure où on est est en permanence tenté de l'utiliser. Et ça, mine de rien, ça peut changer sensiblement la perception qu'on a du jeu. Pour reprendre l'exemple de la sauvegarde rapide : mettons que je m'impose de ne pas l'utiliser ; je suis rendu à un passage coton, je crève en boucle. Il y a neuf chances sur dix que ce segment soit fait précisément pour être passé à grands renforts de sauvegardes rapides mais, bonne poire, j'accorde au jeu le bénéfice du doute. Je fais quoi ? Je gamberge, je me dis que ce passage pourri n'est pas faisable autrement et je me résigne à l'utiliser. Alors que si ça se trouve, c'était jouable sans et je suis simplement une quiche.

    Cela étant dit, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse et rejeter tous les choix. Proposer plusieurs modes de difficulté est souvent justifié (quoique pas toujours très heureux, bonjour le mode normal façon ballade de santé et le mode difficile à se couper les veines) quand ils proposent tous un défi intéressant et adapté à son niveau. Certains jeux vont encore plus loin, comme le dernier Thief ou des jeux de course automobile par exemple, et proposent de régler finement tout un tas de paramètres pour se créer un défi sur mesure : la responsabilité de la difficulté se déporte alors sur le joueur. Pour les uns, c'est une manière d'appréhender le jeu en douceur en retirant les assistances petit à petit ; pour les autres, c'est une façon de dépasser le défi initial prévu par les créateurs. Se poser des handicaps, ce n'est pas nouveau, que ce soit pour la déconne ou pour le sport, et pouvoir les intégrer « en dur » dans le jeu en fait des règles à part entière. Faire en sorte que les règles soient établies au départ et inchangeables en cours de partie peut être une manière de concilier la variabilité du choix et la structure du jeu en forçant le joueur à assumer les contraintes qu'il s'est lui-même posées.

    tl;dr go PvE les pleureuses À trop essayer de ménager la chèvre et le chou, on obtient souvent au mieux un jeu déséquilibré parce qu'il n'a pas été pensé avec les mécanismes que certains réclament, au pire un jeu bâtard et insipide car sans parti pris.
    Une meilleure approche pourrait être de considérer le jeu comme un ensemble d'éléments qui interagissent entre eux et, ce faisant, créent des dynamiques. Introduire ou altérer un mécanisme pour contenter certains sans réfléchir au préalable à la manière dont il va s'insérer parmi les autres éléments peut littéralement ruiner le jeu. Loin d'aplanir les dynamiques, il s'agirait plutôt de les différencier encore davantage.

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