Texte extrait de la rubrique "Au Coin du Jeu",
Canard PC n°329, du 1er décembre
Je suis à la rédaction un lundi, les tueries parisiennes ont eu lieu vendredi soir dernier, et je vais vous parler de ma vie (et un peu de celle de Canard PC).
J’ai deux enfants, un garçon et une fille, 7 et 4 ans. Ils adorent jouer à la guerre. Celle des étoiles, celle des super-héros, en Lego, en Playmobil ou simplement en mimant un monde agité dont les enfants ont, seuls, le secret et dont nous ne percevons qu’une bande-son constituée de bruits de bouche. Je n’y voyais aucun inconvénient jusqu’à vendredi. Depuis, c’est devenu insupportable. Foutu contexte.
Ce fameux vendredi soir, j’étais au cinéma pour suivre les derniers exploits d’un espion imaginaire. Au bout d’une heure de film, quelqu’un est entré dans la salle nous annoncer le drame qui se déroulait quelques arrondissements plus loin. Ce n’est pas l’inquiétude qui m’a fait quitter la séance. C’est simplement qu’en l’espace d’une minute, regarder une fusillade à l’écran est devenu d’une absurdité suffocante. Foutu contexte.
Aujourd’hui, à quelques jours du bouclage du numéro que vous lisez, la rédaction de Canard PC s’est repenchée sur les textes déjà écrits. On a ri, jaune. Après ce vendredi tragique, pas envie d’ironiser sur le grotesque d’un jeu gore. Pas très chaud non plus pour lire « massacre » ou « tuerie » s’il ne s’agit réellement d’événements révoltants. Et croyez-moi, personne n’a envie non plus de s’appeler Maria Kalash. Ironie et hyperbole, les deux mamelles de la rhétorique canardienne puent soudain du bec. Foutu contexte.
Il faut dire que les obsessions guerrières du jeu vidéo ne nous aident pas. Tester un jeu de pan-pan comme Call of Duty maintenant pour en rire, pas envie ; écrire dessus, encore moins. La semaine dernière, Viscera Cleanup Detail (voir p. XX) était encore une astucieuse petite mise en abyme de la violence dans le jeu vidéo ; cette semaine, ce n’est qu’un simulateur de nettoyage de scènes de crime. Personne ne regrette plus la sortie décalée à décembre de Rainbow Six Siege et bizarrement, alors que les parties de Counter-Strike continuent, ne pas pouvoir jouer un terroriste dans Rainbow Six apparaît comme un soulagement (et une très bonne décision d’Ubisoft). Foutu contexte.
Heureusement, il y a d’autres jeux, il y aura d’autres jours. Mes enfants continueront à s’affronter à coups de blasters (mais pas dehors, s’il vous plaît). J’aurai à nouveau besoin de voir un film de flingues (mais pas tout de suite). Et à Canard PC, vous pouvez y compter, nous recommencerons à jouer à la guerre et à raconter nos parties sans arrière-pensées.
Peut-être même en faisant des bruits avec nos bouches.
Lire l'article sur le site.