Et si on revenait sur cette histoire de bloqueurs de publicité autorisés par Apple sur ses iMachines? Cette possibilité aura soulevé hourras et anathèmes. Maintenant que la poussière est progressivement retombée sur le champ de bataille, pouvons-nous y voir plus clair ?
En pratique, donc, Apple a ouvert les portes de son navigateur mobile à des Apps tierces du type Adblock, capables de bloquer les publicités avant qu’elles ne soient téléchargées. Pourquoi l’a-t-il fait ?
D’abord parce que lorsque votre principal concurrent, Google/Android, est la première régie publicitaire mondiale sur le Web, ce serait dommage de ne pas le taquiner un peu avec une feature qu’il ne peut pas copier sans se tirer une balle dans le pied. Ensuite parce que le blocage des pubs ne concerne que le Web, pas les pubs in-apps, domaine dans lequel Apple lui-même propose une régie publicitaire efficace. Or, la majorité du trafic mobile sur Internet passe désormais par une App au lieu du classique navigateur. Enfin (et dans cet ordre), parce que c’est un service beaucoup plus utile qu’on ne le croit en France : habitués à nos abonnements illimités bon marché, nous ne mesurons pas forcément que certains consommateurs (par exemple aux États-Unis où le « data » mobile est souvent facturé) payent au prix fort chaque kilooctet de pub téléchargé par leur mobile ou tablette, ce qui est quand même un comble. L’enjeu financier existe des deux côtés de la ligne : il ne s’agit pas seulement, comme on a pu le lire, du confort d’internautes irresponsables mettant égoïstement en péril la survie des sites web reposant sur la publicité.
Bien entendu, l’initiative d’Apple risque d’encourager fortement le développement tous azimuts de la publicité native (« native advertising »), ce publi-reportage du XXIe siècle où l’éloge d’une marque ou d’un produit est déguisé en article : faire passer du contenu sponsorisé sur mobile est en effet plus simple que de tenter d’y vendre des spots ou des bannières.
Les sites web consacrés au jeu vidéo sont évidemment concernés. Leurs lecteurs aussi migrent de plus en plus vers le mobile au détriment du Web classique. Mais l’impact devrait être relativement limité puisqu’ils ne parviennent de toute façon pas à monétiser correctement l’audience sur mobile. Comme le montre la multiplication récente des mentions « Publi-rédactionnel » ou « Sponso » sur jeuxvideo.com, ils n’échapperont pas pour autant aux ravages du « native advertising ».
Chez certains développeurs de jeux free-to-play, on réfléchit aussi à des formats publicitaires « innovants ». C’est le cas de Zynga, l’ancienne superstar du jeu Facebook (FarmVille and co, c’est lui) dont on ne se lasse pas d’observer la longue descente aux enfers. Sans doute chagriné comme tout le monde par le rendement médiocre des publicités dans ses jeux mobiles, Zynga a eu soudain une idée géniale : et si, plutôt que de mettre de la pub dans ses jeux, il transformait ses jeux en publicité ? Résultat, au lieu d’une bannière ou d’un spot qui émaille leur partie, les joueurs de FarmVille ont pu voir apparaître des mini-jeux dédiés à un produit (permettant d’obtenir une recette inédite ou des crédits in-game). Bien entendu, ces « sponsored play » sont réalisés en interne par Zynga et adoptent tous les codes visuels du jeu dans lequel ils s’insèrent : comme pour le publi-rédactionnel ou le « native advertising », il serait quand même dommageable que les utilisateurs puissent distinguer trop facilement le vrai contenu de la vulgaire publicité.
(Cet article de la rubrique "Au coin du jeu" est extrait de Canard PC n°327, paru le 1er novembre)