Ici, des réflexions diverses sur une autre manière d'interpréter les processus, plus inspirée de l'écologie.
C'est pas forcément crucial pour la compréhension du bouquin, mais il y a de nombreuses réflexions très intéressantes.
Exubérance
"Les situations que les hommes définissent comme réelles ont des conséquences réelles."
Catton revient sur la découverte du Nouveau-Monde, et des idéologies autour de l'infinité du monde qui en découlent.
"Écologiquement parlant, le rêve américain exprimait en termes humains l'exubérance qui suit typiquement l'invasion d'un nouvel habitat par toute espèce qui se trouve avoir les traits requis pour s'y adapter rapidement et efficacement."
"Le terme "
exubérance" a deux significations.
Il peut faire référence à un état émotionnel, ainsi qu'à un
stade écologique (exploitation effrénée d'opportunités abondantes).
Ce qui importe sur le plan sociologique, c'est que le type d'exubérance écologique puisse produire chez les humains le type d'exubérance émotionnelle.
La capacité porteuse inutilisée rend l'avenir prometteur, ce qui engendre un esprit optimiste, car les gens se mettent à exploiter librement leurs abondantes possibilités. L'histoire de l'Amérique a ainsi illustré la dépendance de la liberté politique à l'égard des fondements écologiques."
"L'exubérance est temporaire, car elle conduit inexorablement à un changement des conditions environnementales qui l'ont rendue possible.
La capacité porteuse d'un continent n'est ni fixe ni facile à calculer, mais elle n'est pas pour autant infinie. Pour une quantité de terre donnée et un état de connaissance et d'organisation spécifié, la population qui peut être supportée doit varier de façon inverse au niveau de vie."
Communautés
"Aussi évident que cela puisse paraître, il convient de noter que, dans le contexte écologique, l'antagonisme est assez impersonnel. Le mot n'a pas les connotations émotionnelles qu'il aurait en référence à un conflit humain. En écologie, l'antagonisme signifie simplement que la satisfaction des besoins d'un organisme s'oppose au maintien des conditions environnementales dans lesquelles les besoins d'un autre organisme peuvent être satisfaits.
"Divers organismes différenciés qui s'influencent mutuellement s'adaptent collectivement aux conditions de vie de l'habitat. Une "communauté" est un réseau plus ou moins autosuffisant et localisé d'organismes vivants qui s'adaptent collectivement. Les rôles d'une communauté sont joués par de nombreuses espèces différentes d'êtres vivants, tant végétales qu'animales, c'est pourquoi on parle de "communauté biotique".
Chaque type d'organisme a son propre rôle fonctionnel distinctif dans l'adaptation collective d'une communauté. Le rôle distinctif qu'il joue est la niche de cet organisme. À mesure que la concurrence entre les organismes s'intensifie, ceux-ci ont tendance à se différencier dans ce qu'ils font à l'habitat et dans les exigences qu'ils lui imposent. En bref, il y a une tendance à la "diversification des niches". Chaque organisme d'une communauté est en concurrence principalement avec le nombre limité d'autres organismes de sa propre niche, et non avec tous les autres organismes de l'habitat. La diversification des niches est donc une réponse adaptative à la pression démographique.
Une communauté humaine, comme toute autre communauté biotique, est (1) une association de divers organismes (2) collectivement adaptés aux (3) conditions de son habitat. Ces conditions ne sont pas fixes. Les habitats changent. Les modèles d'adaptation doivent changer en conséquence.
Souvent, une association particulière d'organismes ne peut éviter de modifier les caractéristiques de son habitat par son mode même d'adaptation à celui-ci. En modifiant inévitablement son habitat au cours de sa vie, une association d'organismes se contraint à modifier son propre mode d'adaptation. En d'autres termes, la configuration des niches dans une communauté biotique n'est généralement pas statique. Les structures communautaires changent. Elles changent en raison de l'impact propre de la communauté sur son habitat.
À mesure que l'habitat change, l'association de plantes et d'animaux qu'il abritera doit changer. C'est la "succession", le processus de changement d'un type de communauté à un autre.
L'homme a commencé à déplacer d'autres animaux et plantes des sites où ils avaient évolué vers d'autres habitats où ils ont formé de nouvelles associations biotiques, à tel point que nous avons pratiquement converti le monde en une seule communauté biotique
(l'illusion que l'homme rendait le monde "plus productif" provenait du simple fait qu'une plus grande part de sa productivité limitée servait les besoins humains). Lorsque la forme d'une communauté biotique change par succession, une espèce dominante en remplace une autre. La succession implique donc plusieurs destins possibles pour l'espèce dominante : perte de la dominance, extinction ou migration ailleurs. Si l'espèce ne peut pas se déplacer, mais que les conditions qui lui ont permis de prospérer et d'atteindre la dominance ont changé, elle peut continuer à vivre en tant que membre sous-dominant de la communauté. Si elle ne peut pas le faire, elle peut cesser de vivre dans son ancienne localité. Si l'espèce est mobile, elle peut migrer ailleurs pour éviter de perdre sa position dominante ou de s'éteindre. Pour l'homme moderne, il n'y a plus d'"ailleurs""
Petit apparté pour définir deux termes qui ne seront pas explicité dans les extraits que je vous cite par la suite :
Une sère est un des stades intermédiaires d'une série de succession de communauté écologique jusqu'à la formation climax, qui est l'état le plus stable dans les conditions environnementales existantes.
"Une ferme (pas moins qu'un jardin ou une ville) est un écosystème artificiel. Il s'agit d'une communauté végétale très simplifiée. En termes de succession, il s'agit donc d'une sère très précoce, intrinsèquement instable. Abandonnée, une ferme subira une succession naturelle vers un climax très peu agricole, une sorte de nature sauvage.
L'agriculture, au sens écologique du terme, est l'annulation continue de la succession. Bien que le climax présente une plus grande stabilité inhérente qu'une ferme, elle ne pourra pas nourrir autant d'êtres humains, car une plus grande partie de sa production nette totale est consommée par d'autres espèces.
L'idée que la domination de l'homme sur un écosystème mondial puisse n'être qu'une étape préliminaire dans une série d'autres étapes à venir (non dominées par l'homme) est tout à fait étrangère à la culture de l'exubérance."
Homo colossus
Les outils sont perçus soit comme des dispositifs qui modifient les habitats pour les adapter aux personnes, soit comme des modifications détachables des personnes qui les adaptent à des habitats variés.
On peut dire que les outils ont permis à Homo sapiens d'homogénéiser un monde autrement diversifié, en rendant toutes ses parties disponibles pour l'habitation humaine. Ou bien on pourrait dire que les mêmes outils ont permis à une espèce plus ou moins homogène de se diversifier suffisamment pour vivre dans de nombreux types d'habitats différents.
Le "succès" de l'homme a entraîné l'enfermement d'une fraction sans précédent de l'environnement total à l'intérieur des frontières en expansion des systèmes homme-outil en prolifération. Il y avait donc moins d'"extérieur" par rapport à l'"intérieur" que jamais auparavant. Le résultat ironique est que la technologie, qui était à l'origine un moyen d'augmenter la capacité porteuse humaine par acre d'espace ou par tonne de substance, est devenue au contraire un moyen d'augmenter l'espace requis par occupant humain et la substance requise par consommateur humain.
Le problème serait beaucoup plus facile à reconnaître si l'humanité était affligée d'une sorte de mutation ayant pour effet curieux de faire grandir les enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent deux fois la taille adulte de leurs parents, de sorte qu'ils aient besoin de deux fois plus de nourriture et de fibres par personne pour maintenir la vie et le confort. Supposons en outre que l'effet soit en quelque sorte cumulatif, de sorte que chaque génération devienne deux fois plus grande et plus vorace que la précédente. De toute évidence, la capacité porteuse du monde serait bien moindre pour les générations ultérieures de géants que pour les générations précédentes d'avortons.